Le « syndrome de Paris »: mythe ou réalité ?

Retrouvez cet article publié sur le site du Cercle Psy.

Chaque année, la Ville Lumière affecterait certains Japonais venus y séjourner, au point de provoquer chez eux des troubles psychiatriques. Qui sont les Japonais touchés par ce syndrome ? Quels sont leurs symptômes ? Qu’est-ce qui dans la vie parisienne les affecte tant? Enquête.

C’est à Hiroaki Ota, psychiatre japonais, que l’on doit vers la fin du 20ème siècle l’expression de « syndrome de Paris », terminologie désignant les troubles psychiatriques qui toucheraient des visiteurs japonais, et qui seraient directement attribués à la vie parisienne. Un concept énigmatique et séduisant dont se sont rapidement emparé les médias, au point qu’il devient aujourd’hui difficile de distinguer ce qui relève du mythe ou de la réalité. Un retour de quelques années en arrière nous permettra de mieux aborder les tenants et les aboutissants de ce syndrome obscur.

Depuis la fin du 19ème siècle, certains Japonais idéalisent la France, et tout particulièrement Paris, ville de tous les fantasmes. Langue, culture, littérature, musique, danse, cuisine ou encore mode, monuments célèbres, beaux-arts : tout y est attractif et séduisant, suscitant une popularité très largement amplifiée par les médias japonais. Paris est magique, Paris est idéalisé, « Paris vous attend », prônent quelques annonces publicitaires de l’époque. Malheureusement, une fois à Paris, les multiples trésors dont regorge la Ville Lumière ne suffisent pas à occulter l’envers du décor. Au point de déstabiliser psychologiquement plus d’un Japonais…

Aux sources du malaise

Dans un article datant de 2004, le psychiatre Hiroaki Ota et son équipe listent les quatre difficultés majeures auxquelles sont confrontés les Japonais à Paris.

1) L’incompréhension de la langue : La difficulté à communiquer risque rapidement d’entraîner une incompréhension mutuelle ainsi qu’un « sentiment d’étrangeté, une angoisse, voire même un isolement chez le Japonais », témoigne le docteur Ota.

2) L’individualisation malgré soi : Habitués à se référer à leur groupe d’appartenance, les Japonais éprouvent souvent des difficultés à s’affirmer en tant que sujet individualisé. Eriko Thibierge-Nasu, psychanalyste japonaise francophone exerçant à Paris, le confirme : « Une de mes patientes japonaises m’a raconté que son marchand de journaux lui avait spontanément demandé son avis sur la campagne électorale. Là où une Parisienne aurait répondu du tac au tac, ma patiente s’est sentie complètement désorientée. Tout simplement car elle n’a pas l’habitude des questions d’ordre personnel ». L’échange fut perçu comme agressif par cette jeune Japonaise. Cette incompréhension peut alors entraîner un sentiment de persécution et d’infériorité, et même une dépression.

3) Les comportements des Parisiens : Le Docteur Ota et son équipe pointent également le comportement des Parisiens comme source de frustrations, telles les fluctuations d’humeur excessives, voire excentriques. Eriko Thibierge-Nasu le confirme : « Les Japonais veillent toujours au bon déroulement du lien social, qui demeure très codifié : les individus sont courtois, respectueux et ponctuels en toutes circonstances. L’agressivité peut être sournoise, mais jamais explicite ». Dans ce sens, il est aisé de s’imaginer l’état de surprise d’un Japonais dans le métro parisien. Yukari Mase, japonaise vivant à Paris depuis 12 ans, témoigne : « Les Parisiens m’ont toujours étonnée. Ils sont impolis, irrespectueux des règles de savoir-vivre, agressifs et impatients. Combien de fois ai-je été bousculée dans le métro, ou encore mal reçue par des vendeurs mécontents ! Au Japon, ce type de comportement ne serait pas permis ! Car dans la culture japonaise, ceux qui râlent ou qui se fâchent sont vus comme des personnes faibles… » Elle confie cependant : « J’avoue que certains Parisiens m’amusent parfois ! Le fait qu’ils fassent n’importe quoi et qu’ils ne respectent pas les règles sous-tend une certaine liberté appréciable ! ».

4) La déception : La quatrième difficulté évoquée repose sur la déception entre le Paris fantasmé et le Paris réel. Car non, tous les parisiens ne sont pas élégants et romantiques, distingués et attentionnés ! Jean-François Sabouret, chercheur au CNRS, spécialiste du Japon et de la culture japonaise, le confirme : « Après avoir tant rêvé de Paris, certaines japonaises déchantent en découvrant la réalité ». Eriko Thibierge-Nasu nuance les préjugés. Selon elle, le vrai visage de la capitale est bien plus répandu qu’au 19ème siècle, et les Japonais ne sont pas si dupes qu’on le croit. Au contraire, certains d’entre eux appréhendent même leur séjour à Paris suite au discours alarmiste des médias…

Mais ce n’est pas tout. Toujours selon Eriko Thibierge-Nasu, Français et Japonais n’investissent pas la parole de la même manière. En France, on échange, on se dispute, on critique, on argumente : la parole permet de s’affirmer. Au Japon, le langage est extrêmement codifié, ne laissant pas de place pour l’improvisation, les Japonais s’exprimant sur la base de phrases conventionnelles.

Le syndrome de Paris… ou d’ailleurs !

Quels symptômes ces nombreuses divergences culturelles entraînent-elles ? Pendant un temps, une prise en charge psychologique des Japonais était organisée à Paris, sur la base d’une collaboration entre le centre hospitalier Sainte-Anne et l’ambassade du Japon. Ota Hiroaki assurait ses consultations dans un des services de l’hôpital. Il indique avoir reçu plus de 60 patients japonais entre 1988 et 2004. Leurs symptômes ? Déambulations, agitation psychomotrice, des auto et hétéro-agressivité, tentatives de suicide, mais aussi sentiments d’étrangeté, de déréalisation, de dépersonnalisation, voire de dissociation. A cette symptomatologie sont parfois associés des troubles psychotiques et des troubles de l’humeur, tels qu’un état dépressif majeur, un état maniaque ou encore un trouble anxieux. Cette liste a rapidement fait le tour des médias du monde entier.

Pourtant, selon Hiroaki Ota lui-même, ces désordres psychiques sont essentiellement observés chez « des personnalités fragiles ayant cherché à fuir leurs difficultés d’intégration au sein de leur propre pays, ou encore en quête d’une liberté illusoire ». Eriko Thibierge-Nasu précise : « Dans ce sens, cela peut aussi bien leur arriver à Londres, qu’à Rome ou à Bruxelles ! ». Selon Jean-François Sabouret, ce syndrome ne toucherait pas les Japonais en simple visite de Paris à travers la vitre d’un bus, mais davantage ceux présents en France pour un plus long séjour, pour une thèse ou un emploi par exemple. Par ailleurs, selon lui, ce syndrome atteindrait spécifiquement les japonaises de bonne famille « élevées dans du coton » qui rêveraient d’un Paris enchanté. Selon Yukari Mase enfin, les difficultés d’adaptation à la vie parisienne émergeraient à partir de la troisième année : « Les jeunes femmes japonaises que je côtoie et qui ne restent qu’un an dans la capitale s’adaptent plutôt bien ».

Les contours du syndrome de Paris semblent donc plus complexes à dessiner que ce que laissent présager les médias. Ce syndrome reste de plus largement crédibilisé par sa consonance scientifique. A tort, car selon Eriko Thibierge-Nasu, il n’est pas reconnu cliniquement : « Ce n’est qu’un terme littéraire apparu dans les années 1980, qui vient généraliser et amplifier une simple déception vécue par certains Japonais en séjour à Paris, une appréhension interculturelle légitime ».

A l’inverse, peut-on parler de « syndrome de Tokyo » ? Selon Nicolas Bosc, docteur en psychologie et psychologue clinicien exerçant à Tokyo, la réponse est non. « En revanche, je rencontre à Tokyo beaucoup de Français qui souffrent du système japonais tel qu’il existe dans les entreprises japonaises : grande charge de travail, rigidité hiérarchique, humiliations fréquentes, harcèlement physique et moral ». Au point que ces individus développent une souffrance psychique chronique, voire des troubles psychologiques importants tels que la dépression, l’anxiété, ou le burn-out. Culturellement, le Japon peut présenter une apparence assez éprouvante pour certains expatriés, notamment avec « la difficulté de communiquer avec les Japonais, le gigantisme des grandes villes japonaises comme Tokyo, la rigidité du système japonais qui laisse peu de place à la spontanéité et l’improvisation chères à certains Occidentaux ». Enfin, le grand éloignement du Japon avec la France peut renforcer l’impression de solitude et de perte de repères.

Finalement, pourquoi cet engouement pour le syndrome de Paris ? Ne recouvre-t-il pas en réalité deux mythes, celui d’une Ville Lumière aux paradoxes saisissants, et celui des Japonais, dont la culture nous échappe ?

Pour aller plus loin…

A. Viala, H. Ota, M-N. Vacheron, P. Martin et F. Caroli (2004). Les japonais en voyage pathologique à Paris : un modèle original de prise en charge transculturelle. Nervure, p 31 à 34, n°5.

« Le syndrome de Paris » un film de Saé Shimai avec Ryôko Murakawa et Philippe Adam. 50’ / 2008 / vostf / Betacam

« Hana no miyako » 26’ / 2007 / vostf / Betacam, un docu­men­taire de Akihiro Hata / Production La Femis

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