Dans le cabinet d’une sexologue

Retrouvez cet article publié sur le site du Cercle Psy.

Non, la sexualité idéale n’existe pas. Et celle promue dans les magazines est illusoire. De plus en plus nombreux sont les individus qui, insatisfaits de leur vie sexuelle, se décident à consulter un sexologue. Quels sont les principaux motifs de consultation ? Qui aujourd’hui pratique la sexologie ? Sur quels outils repose une sexothérapie ? A quel point hommes et femmes investissent-ils la sexualité différemment ? Réponses de Marie Véluire, gynécologue-obstétricienne, sexologue et co-auteur de Les adolescents et la sexualité – 101 questions de mères (avec Catherine Siguret, Robert Laffont, 2009).

Qu’est-ce qu’un sexologue clinicien ?

Il est un thérapeute spécialisé dans l’aide à la résolution des problèmes sexuels. Pour ce faire, il va se focaliser sur le plaisir du patient et le vécu de ce plaisir dans une dimension relationnelle. Les courants théoriques sur lesquels il peut s’appuyer sont diverses. Certains sexologues cliniciens reposent leur pratique sur une orientation psychologique (de divers courants théoriques), d’autres, médicale, selon leur formation d’origine. Mais cela compte peu. Le plus important est que le patient se sente en confiance avec son thérapeute, quel qu’il soit. Et surtout, que ce dernier possède une formation validée et effective. Il faut savoir que contrairement à l’appellation de psychologue ou de médecin, celle de sexologue n’est pas protégée par la loi.

Qui aujourd’hui pratique la sexologie ?

La formation en sexologie séduit divers corps de métiers : médecins, psychologues, assistants sociaux, kinésithérapeutes, sages-femmes, etc. Le Diplôme Inter Universitaire de Sexologie (DIUS), proposé dans différentes universités françaises et reconnu par le Conseil National de l’Ordre des Médecins, forme à la sexologie en trois ans, mais ne s’adresse qu’aux médecins. En tant que gynécologue-obstétricienne, c’est une des formations que j’ai moi-même suivie. Mais il existe d’autres programmes d’une durée de deux ou trois ans qui s’adressent aux autres publics. Quel que soit le professionnel, la pratique de la sexologie demeure bien souvent complémentaire à une autre activité. Très peu de praticiens y consacrent donc l’intégralité de leur temps.

Quels sont les principaux motifs de consultation pour les femmes ?

Les femmes vont principalement consulter pour des troubles du désir sexuel, qui peuvent apparaître à la suite d’un accouchement ou au terme d’années de mariage. Si de nombreuses femmes présentent ces difficultés, seule une minorité, qui en souffrira réellement dans la vie de tous les jours, ira consulter. Ces troubles, répertoriés dans le DSM-IV, peuvent mettre le couple à mal. Je reçois également beaucoup de femmes incapables d’avoir un orgasme par pénétration vaginale, à savoir un orgasme coïtal. Cette difficulté, qui résulte d’un trouble de l’apprentissage du plaisir coïtal, peut se résoudre en quelques séances de sexothérapie. Enfin, le troisième motif de consultation est, selon mon expérience, le vaginisme. Celui-ci se définit par une contraction musculaire involontaire des muscles du plancher pelvien qui entourent l’ouverture du vagin. Il s’agit de femmes qui ignorent bien souvent leur schéma corporel, et/ou qui ont été marquées par des traditions familiales ou des événements traumatisants.

Et pour les hommes ?

L’éjaculation précoce, qui touche près d’un homme sur trois, représente sans conteste le principal motif de consultation chez la gent masculine. Celle-ci consiste en une éjaculation involontaire, moins de deux minutes après le début de la pénétration. Il relève souvent d’un trouble de l’apprentissage. Un traitement par des IRS (Inhibiteurs de Recapture de la Sérotonine) de la famille des antidépresseurs permet de retarder l’éjaculation d’une minute supplémentaire. Toutefois, la grande majorité des éjaculateurs précoces peuvent être traités en quelques séances de sexothérapie. Le second motif de consultation est la dysfonction érectile, qui concerne tous les hommes, augmentant bien sûr proportionnellement à l’âge.

 Quelles formes de sexothérapies pratiquez-vous ?

Le recours à telle ou telle sexothérapie dépend de la formation initiale du praticien, de sa sensibilité et de ses valeurs. Étant moi-même chirurgienne à la base, j’ai un réel souci d’efficacité sur le court terme. Ce qui n’est pas nécessairement le cas de mes homologues. Je pratique alors des thérapies relativement courtes, d’une dizaine de séances. Les sexothérapies que je pratique reposent sur la conjugaison de différents outils à ma disposition : l’approche sexo-corporelle, l’hypnose et la thérapie systémique. Chaque praticien recourt à ses propres outils. Pratiquer une sexothérapie est alors comme résoudre un puzzle ou mener une enquête policière : l’objectif sera de cerner la logique du fonctionnement du patient, pour mieux l’étayer dans sa démarche. L’approche sexo-corporelle aborde l’individu de manière globale, partant du concept que le corps et l’esprit sont le miroir l’un de l’autre. Notre intervention repose d’une part sur les composantes psychologiques de la personne : la prise de conscience de son plaisir et de son excitation sexuelle, de son corps, l’élaboration de ses sentiments amoureux, etc., et d’autre part sur ses composantes physiologiques, où il va s’agir entre autres de lui apprendre le fonctionnement de son corps et la manière de le mobiliser.

Sur quoi repose la réussite d’une sexothérapie ?

Sur deux éléments essentiels : le degré de motivation au changement du patient, et le lien de confiance qu’il établit avec le thérapeute. Ce qui varie nettement en fonction des personnes que je reçois en consultation. Par exemple, si une femme vient consulter sur les directives de son mari qui se plaint de son manque de désir, sa capacité au changement sera quasi nulle. De manière générale, il est délicat d’aller consulter un sexologue. Pour qu’une personne décide d’entamer une telle démarche, c’est que ses difficultés ou troubles sexuels font l’objet d’une réelle souffrance au quotidien.

 Comment accueillez-vous les gênes et éventuels tabous du patient ?

C’est tout un art, une manière d’être, dont il est complexe de rendre compte avec de simples mots ! La façon dont j’accueille avec sérénité les mots et les émotions de la personne, va l’encourager à son tour à s’exprimer plus librement. C’est le principe même de la neutralité bienveillante. La sexualité touche à un système de valeurs personnelles qu’il est indispensable de respecter. Par exemple, nous ne tiendrons pas les mêmes discours et ne fixerons pas les mêmes objectifs avec une personne très religieuse. Il faut savoir s’adapter à la singularité de son patient et ne pas lui imposer notre propre vision de la sexualité.

A quel point hommes et femmes investissent-ils la sexualité différemment ?

Il faut savoir que sur le plan physiologique, les hommes et les femmes fonctionnent de la même façon : il faut avoir accès à un réflexe d’excitation sexuelle, passer un point de non-retour jusqu’à atteindre une décharge orgasmique. Le tout nourri par un imaginaire. Le processus de sexualisation quant à lui est différent. Un homme nécessite d’être performant et son érection est sa carte d’identité, preuve de sa virilité. Ainsi, un homme qui dysfonctionne sur le plan de l’érection ou de l’éjaculation est grandement fragilisé. A l’inverse, une femme n’a pas besoin de jouir pendant l’acte sexuel pour se sentir femme et épanouie par ailleurs. Ce point constitue une différence fondamentale entre les deux partenaires qui ne sont donc pas soumis à la même pression. Mais ce n’est pas tout. La manière d’aborder l’acte sexuel diffère selon le partenaire. D’où l’idée commune qu’un homme a besoin de faire l’amour pour dire je t’aime, alors qu’une femme a besoin qu’on lui dise je t’aime pour faire l’amour !

De nombreux magazines traitent de la sexualité dans le couple. Cela est-il bénéfique ?   

Oui et non. Je reste assez partagée sur la question. L’émergence et la pluralité d’articles sur la sexualité a permis une certaine banalisation positive de l’acte sexuel et des termes s’y rapportant, et ainsi une évolution appréciable de la sexualité et ses potentialités. Je pense notamment à la revendication du plaisir chez les femmes. A contrario, cette surexposition d’une sexualité épanouie peut être à l’origine de souffrances chez les individus qui se révèlent sous pression. Il faut savoir que la sexualité ainsi mise en avant est souvent fausse, plongeant le lecteur, ou la lectrice, dans une forme de dictature du plaisir et de la performance. Car dans la vraie vie, la performance a une importance très limitée ! Un exemple : lorsque l’on interroge en détail les femmes sur leur vie sexuelle, beaucoup se plaignent du manque de caresses, de préliminaires, de tendresse de leur partenaire pendant le rapport sexuel. Pourtant, à l’issue de ces enquêtes, elles se disent globalement satisfaites de leur sexualité. La raison ? Elles confondent tout simplement leur vie sexuelle et leur vie conjugale. Pour une majorité de femmes, une grande affection dans le couple suffit à les combler et à leur faire oublier une sexualité moyennement satisfaisante. A l’inverse, une femme comblée sexuellement mais non affectivement, demeurera insatisfaite.

Qu’est-ce qu’une sexualité épanouie ?

Tout d’abord, rappelons qu’il n’y a pas de bonne sexualité ! Car toute sexualité repose sur un système de valeurs et de facteurs très personnels. C’est entre autres pour cette raison que la sexualité unique promue dans les magazines n’a pas de sens et ne peut être qu’éloignée de la réalité. Aussi, je dirais qu’une sexualité est épanouie lorsque les deux membres du couple sont comblés. Certains couples se sentent épanouis avec un rapport sexuel par mois, d’autres ont besoin d’un rapport par jour. Cette satisfaction mutuelle demeure relativement fréquente. Notre sexualité repose sur une vraie démarche personnelle que l’on construit tout au long de sa vie. Une sexualité épanouie ne tombe donc pas du ciel ! Celle-ci se cultive, se construit, s’apprend, et nécessite beaucoup d’investissement, de curiosité et d’énergie.

Pour aller plus loin…

Philippe Brenot (2012, Petite Bibliothèque Payot). Qu’est-ce que la sexologie ? Petite Bibliothèque Payot.

Elisa Brune et Yves Ferroul (2011, Odile Jacob). Le secret des femmes. Voyage au cœur du plaisir et de la jouissance.

Alain Héril (2012, Éditions Bussière). Sexothérapie : ces confidences qui soignent.

Pascal de Sutter et Catherine Solando (2011, Robert Laffont). La mécanique sexuelle des hommes. A savoir qu’un second tome de « La mécanique sexuelle des hommes » paraîtra en septembre 2012.

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

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