Vis ma vie de thésarde… en psycho du bébé !

a young girl casting a spell

Il y a deux ans, j’ai entamé un doctorat en psychologie. Mon sujet de recherche ? Les émotions du bébé. Méthodologie, difficultés rencontrées, péripéties bibliographiques, intérêt de cette étude… Je vous dis tout sur l’aventure du doctorat, comme si vous y étiez !

Tout a commencé alors que j’observais le visage colérique d’un jeune enfant en crèche (car oui, je vous l’ai pas dit, je suis aussi psychologue en crèche !). Vous savez, ces petits humains qui ont des réactions souvent explosives et qui n’écoutent pas souvent ce qu’on leur raconte ? Ce petit garçon-là était particulièrement expressif : ses sourcils étaient froncés, son regard était fixe, ses lèvres étaient pincées. J’essayais de deviner, sans sur-interpréter, quel ressenti se cachait derrière les traits de son visage. Des questions me sont venues pêle-mêle : qu’est-ce que ce petit garçon ressent du haut de ses 19 mois ? Comment les émotions évoluent-elles au fil de son développement ? Comment cette émotion s’exprimait-elle, quand il venait tout juste de sortir du ventre de sa maman ? C’est parti pour quelques années de doctorat…

Comment ça se passe, un doctorat ?

Première étape : se poser LA question… et trouver un directeur de thèse !

Pour m’éclairer, j’aurais pu poser ces questions à ma voisine-qui-a-eu-trois-enfants ou picorer un de ces magazines féminins qui parle des émotions des enfants comme il parle des tortillas au cheddar. C’est-à-dire sans grande conviction, ni réelle expertise. Mais voilà, obstinée comme je suis, j’ai voulu me pencher sur la question avec la rigueur d’un scientifique. Passionnée de psychologie du développement et nourrie des travaux en neurosciences affectives et sociales, je me suis lancée un défi fou : entreprendre un doctorat en psychologie sur les émotions des bébés. Et pas n’importe quels bébés ! Non, ceux qui viennent de naître et qui n’ont pas encore de réelle expérience de la vie extra-utérine. Les nouveaux-nés. Les vrais de vrais. Des interrogations émergeaient dans ma tête comme un feu d’artifice : comment s’expriment les émotions sur le visage des nouveau-nés ? Leurs expressions faciales traduisent-elles des émotions matures comme celles que les adultes peuvent ressentir (ce serait trop simple !) ?

 

Seconde étape : faire le point sur ce que les autres chercheurs ont déjà raconté sur le sujet

Une fois ma problématique en tête, je me suis plongée dans la « littérature » pour savoir ce que les autres ont déjà raconté et/ ou trouvé sur le sujet. Mais attention, dans le milieu de la recherche, la « littérature » que l’on décortique n’est pas celle que vous croyez. Il ne s’agit pas de dévorer tous les Amélie Nothomb et les Joël Dicker qui nous tombent sous la main. Non ! Il s’agit d’éplucher tous les articles scientifiques au style rédactionnel lugubre (en anglais pour la plupart) qui traitent de notre problématique : tiens tiens, qu’est-ce notre ami Darwin racontait sur les émotions du bébé à son époque ? 150 ans plus tard, quoi de neuf ? Et chez nos copains les animaux, comment les émotions s’expriment-elles ? Ah oui ? Les bébés de mamans dépressives naissent-ils réellement moins expressifs que les bébés de mamans qui vont bien ? L’objectif : faire le point sur l’ensemble des recherches qui portent sur le sujet et identifier quelle sous-partie il reste à approfondir afin de compléter l’état des connaissances et apporter sa petite pierre à l’édifice. D’ailleurs, il faut savoir que lorsque l’on mène une recherche, on n’apporte bien souvent qu’un tout petit caillou riquiqui à un énorme édifice en pierre. Car construire de nouvelles connaissances solides, même infimes et anodines en apparence, mobilise un temps considérable.

Dans le cas précis de ma problématique (celle des expressions faciales des nouveau-nés), j’ai fait face à deux grandes difficultés. Tout d’abord, il me fallait apprivoiser et comprendre le jargon des chercheurs sur les émotions. Lire un article scientifique n’est jamais évident tant les concepts abordés peuvent être complexes à saisir. Imaginez alors lorsqu’il s’agit d’articles qui sont dans une autre langue que votre langue maternelle ! Et puis, lorsque je suis enfin parvenue à lire couramment ces recherches, une autre péripétie est survenue : j’étais surprise de constater que chaque auteur avait son propre point de vue et que peu de monde était finalement d’accord sur la question des expressions des nouveau-nés. Confrontée à cette jungle théorique, il me fallait donc développer mon propre positionnement… Heureusement, un doctorant n’est jamais seul. Mon directeur de recherche (que l’on qualifie de DR dans le milieu) était présent pour m’épauler, m’encourager, me conseiller et m’offrir des gaufrettes au chocolat quand mon moral retombait – soutien ô combien capital (d’ailleurs, bien que j’emploie le « Je » dans cet article, le « nous » serait tout aussi adapté).

Troisième étape : trouver des petits cobayes

Sur la base des recherches antérieures, de mes centres d’intérêt et des axes que je voulais approfondir, je suis partie à la recherche de petits cobayes à analyser. A savoir, des bébés, des vrais !

Cette étape consiste à sélectionner un profil de participants que l’on souhaite étudier en fonction de notre problématique (il peut s’agir de personnes âgées, de bébés de 2 mois, d’enfants de 6 ans, d’individus qui souffrent d’une pathologie particulière ou d’autres qui sont au contraire en pleine forme…). C’est une étape énergivore de la vie de tout doctorant. Puis, reste à choisir la situation dans laquelle on souhaite analyser nos cobayes et trouver un moyen objectif de décortiquer leurs comportements. Dans mon cas, vu que je m’intéressais aux expressions faciales des nouveau-nés humains, j’ai naturellement choisi de travailler sur… des nouveau-nés humains. Logique. J’ai fait le choix de me pencher sur des vidéos d’échanges entre des mères/ pères et leurs bébés d’un ou deux jours. Il s’agit de scènes qui ont été filmées par mes super collègues doctorantes du laboratoire où je fais ma thèse (je n’ai donc pas eu, pour ma part, à traverser la grande période de « recrutement » des participants et du recueil des données) ! Ces épisodes, qui durent une dizaine de minutes au maximum, se déroulent dans la maternité. Ce sont de belles scènes pleines de tendresse et d’affection où l’un des parents échange avec son bébé. Certains leur chantent des chansons, d’autres les dévorent des yeux tandis que d’autres encore leur racontent des histoires. Certains de ces bébés dorment, d’autres pleurent, d’autres encore scrutent leur environnement avec un regard intense comme s’ils ne voulaient pas en perdre une miette !

Quatrième étape : construire une grille pour analyser leurs expressions

Une fois les vidéos sélectionnées, reste à trouver un moyen d’analyser objectivement les expressions faciales de ces petits cobayes. En voilà une autre paire de manches ! Car pour conserver une rigueur scientifique et méthodologique, il est nécessaire que le système de cotation des expressions faciales soit solide et suffisamment fiable. Et surtout, qu’il donne lieu à des résultats similaires quelle que soit la personne « qui se colle » au codage (oui, je dis bien « qui se colle » car coder des vidéos, seconde par seconde est un travail de fourmi obsessionnelle ascendant geek). C’est ce qu’on appelle de la micro-analyse. Avec l’aide de mon directeur de recherche, j’ai donc construit une grille qui me permet de décortiquer les expressions faciales de ces bébés. Mais que contient cette grille ? 3 grandes parties : 1/ les sourcils : sont-ils haussés, froncés ou neutres ?, 2/ la bouche : est-elle fermée, ouverte, souriante… ? 3/ Les yeux : sont-ils ouverts, fermés, mi-clos… ? L’idée est de coder ces trois parties du visage indépendamment les unes des autres. Je commence par coder les sourcils, puis les yeux et enfin la bouche. Sachant que 45 minutes environ sont nécessaires pour coder trois minutes de vidéos, que chaque vidéo doit être codée trois fois (une fois pour chaque région du visage) et qu’il y a une quinzaine de vidéos à coder, faites le calcul !. Après quoi il me reste à combiner l’ensemble de ces trois parties et à observer quelle expression faciale émerge : s’agit-il d’une expression de plaisir ? De déplaisir ? De douleur ? De dégoût ? Une question doit vous brûler les lèvres : « mais, Héloïse, pourquoi te compliquer ainsi la vie en décomposant chaque visage en trois parties alors qu’il te suffirait de coder chaque expression dans sa globalité ?? ». Et vous avez raison ! C’est tout l’art de la recherche. Décomposer le visage en trois parties permet de gagner en précision et en fiabilité. Le chercheur est dans la précision d’un chirurgien. Son truc, ce sont les détails des détails des détails. Et puis, reconstruire l’émotion globale à partir des éléments qui la composent permet ne pas être accusé de codage subjectif.

Comme tout doctorant, on me pose souvent une même question (avec plus ou moins de tact, d’ailleurs) : « mais en fait, ta thèse, elle sert à quoi ?! ». Bingo. C’est LA question à un million à laquelle on doit se préparer. Et je vais vous répondre. Ma recherche exploratoire sur les expressions du visage de ces petits humains permettra, je l’espère, de sensibiliser les adultes à mieux identifier les émotions d’un nourrisson, à ne pas les sur-interpréter (ce n’est pas parce qu’il pleure qu’il souffre, par exemple). Cette recherche permettra aussi d’étudier la variabilité des profils des enfants dès le début de la vie et d’alimenter la réflexion sur les tout premiers signes de pathologies, comme l’autisme par exemple. Enfin, cette recherche permettra de souligner que certaines émotions sont présentes dès la naissance et que les expressions faciales évoluent vite au fil du développement de l’enfant et au rythme de ses interactions avec son environnement.

Voilà, je pense vous avoir tout dit. N’ayant pas encore achevé cette fameuse quatrième partie, je ne pourrai pas vous en dire plus pour le moment !

L’aveu de la fin

Avant de vous quitter, j’aimerais tout de même vous faire un aveu. Si je me suis lancée dans cette aventure du doctorat c’est bien sûr pour mieux comprendre comment se développent les toutes premières émotions sur le visage d’un être humain. Mais pas que. Garder un pied dans l’univers rigoureux de la recherche me tient à cœur. Pourquoi ? Car il me permet de faire le pont entre les connaissances scientifiques et le terrain, entre le laboratoire de recherche et la crèche. En tant que psychologue et formatrice, il me semble indispensable que les connaissances des professionnels de la petite enfance soient à jour, exactes et rigoureuses. C’est le meilleur garde-fou contre les sur-interprétations et les dérapages. Grâce au développement des outils d’investigation sur le bébé, on en a plus appris sur le jeune enfant en un siècle qu’en un millénaire (j’exagère un peu, mais pas tant que ça). Alors profitons-en !

A l’issue de ce petit témoignage, j’espère deux choses : 1) que cet article vous aura un peu sensibilisés à la manière dont on mène une recherche (sans trop vous effrayer) et 2) que j’aurai un jour l’occasion de… fêter la fin de ma thèse avec vous !

A bientôt !

Héloïse

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

5 commentaires sur « Vis ma vie de thésarde… en psycho du bébé ! »

  1. Un travail passionné et noble à l’image de son auteure. Ce bonheur de vous avoir rencontrée pour une formation si intense en août chez nous, à Soustons. Je retrouve ici toute votre jolie folie contagieuse qui nous porte encore dans nos réflexions professionnelles. Nous n’avons pas fini de parler d’Heloïse à Pom’d’Api. Et je souhaite pouvoir lire un jour cette recherche finalisée. Tenez-bon! Il est des personnes qui n’ont pas forcément besoin de demander pourquoi ce travail. Alors…courage! Et encore un grand merci. Très sincèrement.

    1. Chère Nelly,
      Votre commentaire m’a beaucoup touchée, émue. Il représente ce pourquoi je fais le tour de France chaque semaine pour y animer des formations et rencontrer des professionnels de terrain. Moduler certaines pratique pour le bien-être des enfants des adultes… Merci pour votre retour gratifiant qui me donne des ailes et m’encourage à prendre mon TGV demain pour retourner animer une conférence !
      J’ai été tout autant ravie de vous rencontrer…
      Belle continuation à vous et à toute l’équipe 🙂
      Héloïse

  2. Hihi, merciiiii pour ce partage de “Vis ma vie de doctorante” 😀 ! Surtout avec un sujet aussi passionnant (et prenant 😉 )!
    Pas de doute qu’on fêtera ta thèse 😀

    Bon, et j’ai un aveu à te faire aussi : ton article me donne (encore plus) envie de me lancer dans la recherche ! (m’enfin, du haut de mon petiot diplôme d’EJE, pas sûre de pouvoir accéder à ce domaine de la recherche !?!)

    Et hop, pour finir ce petit mot, tout plein de douces ondes positives pour t’accompagner sur ton chemin de chercheuse 🙂

  3. Ravie d’avoir lu un tel témoignage de chercheuse :). Si j’etais plus jeune, j’en ferai mille fois plus que ce que je fais actuellement pour parfaire mes connaissances en neurosciences en reprenant les études mais je me contente de l’autodidactie et de formations à l’IPE puis d’éthologie bientôt .
    Nous n’ avions plus de neuroscientifique (remarquez que j’ecris au singulier et au passé !) puisque Jean Decety est parti il y a longtemps poursuivre ses recherches en neurosciences affectives et sociales à Chicago! Mais bonne nouvelle , nous avons Héloïse qui va poursuivre, j’espère, ce travail d’investigation pour que l’on comprenne mieux nos tout-petits et les accompagnent au mieux tout au long de leur croissance …. une croissance qui nous concerne en partie, nous professionnels de l’enfance au regard des constats de pratiques un autre âge sur le terrain!
    Je fais le voeu que toutes les énergies consenties par celles et ceux qui œuvrent pour faire avancer le schmilblick des connaissances en neurosciences sur le terrain , portent leurs fruits au plus vite …. Je le sens un peu comme une croisade que cet élan qui pousse à vouloir changer les choses … L’espoir, la ferveur et la connaissance donnent bien des ailes pour s’impliquer dans une telle cause , celle de l’avenir de nos enfants .

  4. Merci pour ce partage qui m’a replongée quelques années en arrière, où j’avais choisi un sujet très proche pour mon travail de fin de Master (gestion des parents des émotions exprimées par le bébé), et qui m’a fait vivre exactement tout ça (en un peu plus “léger” toutefois, car ce n’était quand même pas une thèse que je faisais, mais effectivement je m’étais dit qu’il y avait bien matière!). Que de souvenirs, merci!!
    Bon courage alors, et au plaisir de la suite de ce travail titanesque 🙂

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :