Gare aux idées reçues sur les psychologues !

IDEES RECUES

Retrouvez cet article publié dans le Hors-Série du Cercle Psy « Qui sont (vraiment) les psychologues ? »

Noyée dans la nébuleuse sphère des « psys », la profession de psychologue souffre d’innombrables idées reçues. Panorama des fausses croyances véhiculées sur les psys.

 

Gare au psychologue qui révèle sa profession, naïvement, au cours d’une soirée entre amis. Téméraire, celui-ci n’est pas au bout de ses peines. Florilège : « Mieux vaut que j’arrête de parler sinon tu vas m’analyser ! », « Non, moi je n’ai jamais consulté de psy, je ne suis pas fou », « Ah bah ça tombe bien, j’ai justement fait un rêve très étrange cette nuit, je peux te le raconter pour que tu me le décryptes ? », « Super ton métier, moi aussi j’aurais aimé être profiler ! », « J’ai pas compris, t’as fait cinq ans d’études pour apprendre à écouter ? », « C’est bon, arrête de jouer sur les mots, fais pas ton psy », « Tu sais, la psychologie, c’est comme le paranormal, j’y crois pas trop »… Tout psychologue fait régulièrement l’expérience amère de ce foisonnement d’idées reçues à l’égard de sa profession. On lui octroie tantôt le statut de psychanalyste, de psychiatre, de psychothérapeute. Et parfois, celui de psychologue. Ouf !

Ces fausses croyances dessinent une profession de psychologue telle qu’elle est ancrée dans l’inconscient collectif. « La psychologie s’offre à tous dans des livres, dans des revues et dans les médias et, par conséquent, elle donne lieu à des représentations qui oscillent entre la fascination et la répulsion, ce qu’elle partage avec d’autres disciplines psy », observent Annick Ohayon et Régine Plas dans La psychologie en questions (1).

« Les gens ont le sentiment que les psys savent ce qu’ils ignorent d’eux-mêmes et se sentent un peu « dépossédés » de leurs pensées et de leurs affects. Comme si les psychologues avaient des pouvoirs surnaturels. Il y a une dimension irrationnelle dans la perception générale de notre métier », analyse quant à elle Nicole Voisembert, psychologue clinicienne en libéral et en crèche.

 

L’inextirpable héritage freudien

Toutefois, si chaque idée reçue relève du mythe, d’un schéma de pensée, elle s’étaye bien souvent d’un fond de vérité. L’une des fausses croyances les plus coriaces à laquelle est confrontée la profession de psychologue est sans conteste la réduction, quasi-permanente, de leur champ d’intervention à l’héritage freudien. Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, représenté dans l’imaginaire collectif comme un sexagénaire à la barbe blanche, au front dégarni, au regard perçant et impénétrable, est devenu, en l’espace de quelques décennies, le symbole de toute une discipline : la psychologie.

Aux yeux du grand public, la mention du mot « psychologue » évoque bien souvent un analyste, plus ou moins mutique, assis aux côtés de son patient, lui-même allongé sur un divan. Sans oublier les fameuses notions psychanalytiques que chacun se targue de connaître : inconscient, désir, narcissisme, complexe d’Œdipe, refoulement, acte manqué, etc. Il suffit de taper le mot « psychologue » sur un moteur de recherche sur Internet pour recueillir des centaines d’images humoristiques en lien avec la psychanalyse. Et les rubriques « psy » de nombreuses revues françaises se referrent elles aussi toujours à ce même et seul courant : la psychanalyse, encore elle. « Le plus étonnant est que les enseignements du monde entier, États-Unis en tête, ont relégué Freud au rang d’auteur presque banal, à l’influence décroissante », souligne Alain Lieury, professeur émérite de psychologie cognitive à l’université de Rennes 2 et spécialiste français de la mémoire.

Quid des psychologues cognitivistes, comportementalistes, humanistes, développementalistes, neuropsychologues, de l’éducation, de la santé, du travail, qui tapissent discrètement, mais sûrement, les institutions et cabinets de nos contrées ? De même que, selon Freud, l’inconscient représente la partie immergée de l’iceberg de l’appareil psychique, nous pouvons affirmer, sans paraître trop aventureux, que la psychanalyse représente la partie immergée de l’iceberg de la psychologie. Une dissonance qu’Alain Lieury a quantifiée : « Un recensement dans la plus grande banque de documentation internationale, PsycInfo, montre environ 100 000 publications par an en psychologie et matières connexes ; parmi celles-ci, il n’y a que 1,7 % des publications qui concernent la psychanalyse, même proportion à peu près dans les manuels américains de psychologie, quelques pages sur 400 ou 600 pages ! »

 

Freud sur les bancs du lycée

Si les médias français cultivent cet amalgame trompeur entre psychologie et psychanalyse, il semblerait bien que l’origine de cette confusion se situe un peu plus en amont, sur les bancs du lycée. Actuellement, la psychologie, matière qui figure dans le programme de philosophie de Terminale, se résume à l’étude de l’inconscient, du conscient et des désirs, et ce, sous l’égide d’un seul auteur : le pape de la psychanalyse, Freud, une fois de plus.

« Il peut même y avoir des dérives incroyables, comme dans un manuel de Terminale des sections Sciences et Technologie où l’on peut compter 22 textes de Freud et de Lacan, mais rien sur la psychologie scientifique », remarque Alain Lieury.

Aussi surprenant que cela puisse paraître aux yeux des nouvelles générations, il fut un temps où la psychologie était enseignée, comme il se doit. Flash-back : nous sommes en 1941, époque à laquelle la partie « psychologie » du programme de philosophie de Terminale inclut la perception, la mémoire, l’intelligence, la personnalité. Bref, un ensemble de thèmes clés de la discipline. « Avec la restriction des thèmes de psychologie à la psychanalyse, c’est comme si dans les autres matières, Freud étant mort en 1939, on parlait encore de la machine à vapeur au lieu du nucléaire, de la saignée en médecine, et comme si on s’arrêtait avant la découverte de la structure de l’ADN dans le programme de biologie. Pas étonnant, de ce fait, que chaque année, 600 000 lycéens, futurs journalistes, médecins, politiques, aient Freud et la psychanalyse pour seules références en matière de psychologie en France », s’exclame Alain Lieury. À quand la réinsertion d’un enseignement de psychologie ? Pour ce faire, il faudrait que des associations de psychologie œuvrent en faveur de la mise en place, au lycée, d’un programme de psychologie contemporaine et scientifique, telle qu’elle est enseignée sur le plan international. L’idéal serait de créer un Capes et une agrégation de psychologie, selon Alain Lieury.

 

Les études de psycho, une “voie de garage” ?

La formation universitaire des psychologues n’échappe pas à la règle des fausses croyances. Pour beaucoup, il s’agit d’une formation à dominante littéraire, une « voie de garage », passe-partout, pour les bacheliers en manque d’inspiration pour leur avenir professionnel. Or, la réalité est tout autre. Dans les amphithéâtres bondés des facultés de psychologie, bon nombre d’étudiants déchantent, dès la première année. « Il est peu de professions où l’écart entre l’image qu’on s’en fait, et la réalité de l’exercice professionnel est aussi important », précise Annick Ohayon.

Il faut dire que nous sommes bien loin de la psychologie telle qu’elle est enseignée en Terminale, bien loin des articles « psy » qui tapissent les revues féminines. Et pour cause : le cursus universitaire de psychologie inclut des statistiques, de la biologie, de la physiologie et des neuro­sciences… Autant de matières scientifiques auxquelles ne sont pas préparés les bacheliers littéraires, et qui mettent plus d’un étudiant au pied du mur.

La psychologie, une discipline littéraire ? Pas tant que ça, donc (voir article p. 34). Les chiffres sont éloquents : selon les statistiques de l’université Paris Descartes, pour l’année 2009-2010, sur l’ensemble des étudiants issus de baccalauréats généraux qui ont réussi à valider leur première année de psychologie, 28 % seulement proviennent d’une filière littéraire, 39,5 % d’une filière économique et 65,8 % d’une filière scientifique. Résultat des courses ? Un taux important d’abandon et d’échec en première année.

Sur le site web etupsy.free.fr, dédié aux futurs étudiants en psychologie, certaines statistiques recensées ont ainsi valeur d’avertissement : « À titre indicatif et en moyenne, sur quinze étudiants qui s’inscrivent en première année de psychologie, cinq d’entre eux seulement arrivent en licence, et un seul est autorisé à s’inscrire en cinquième année ».

Sans oublier que bon nombre d’étudiants arrivés en Master 1, qui ne parviennent pas à passer la sélection de Master 2, au terme de quatre années d’études au minimum – s’ils n’ont pas redoublé – doivent songer à une nouvelle orientation (voir article p. 46). La psychologie, une voie facile ? Pas si sûr, donc.

« Ajoutons que les étudiants en psychologie français représentent le quart des étudiants en psychologie européens, et que la France forme chaque année beaucoup plus de psychologues que les autres pays d’Europe, trois fois plus que l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, par exemple », complètent Annick Ohayon et Régine Plas. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils traduisent un malaise réel, et ne peuvent que nous inciter à… chercher l’erreur.

 

Fausses croyances, vraies conséquences

Si l’image de la profession relève souvent du mythe, les retombées sont quant à elles bien réelles. Les psychologues se retrouvent tantôt associés aux psychanalystes et au divan, tantôt aux psychiatres, à la folie. Une image qui peut décourager, à juste titre, certaines personnes d’aller consulter un psychologue. À tel point que bon nombre de praticiens s’efforcent d’indiquer et de démanteler, sur Internet, les idées reçues auxquelles leur profession est confrontée. Mais ce n’est pas tout. S’ensuit un manque de recrutement (hors champ de la santé) des psychologues de la part des entreprises, au profit de professionnels issus d’au­tres formations, comme les gestionnaires ou les diplômés en ressources humaines. Quels intérêts auraient-ils à embaucher des professionnels vus comme mystérieux, adeptes des maladies mentales, férus des cures analytiques, qui interprètent les rêves et s’adonnent au mutisme ? Car les portes des entreprises ne sont pas étanches aux fausses croyances ambiantes.

« L’une des principales retombées de ces idées reçues est la vision dépréciée d’eux-mêmes et la posture victimaire qu’adoptent beaucoup de psychologues français, ce qui nuit à leur réussite personnelle et à leur image sociale », regrette Annick Ohayon. Déjà, dans les années 1950, Didier Anzieu le notifiait. « Il disait quelque chose comme cela : les psychologues feraient bien de s’appliquer à eux-mêmes la science qu’ils promeuvent, car souvent, le primat de l’individualisme, l’absence de dynamisme et les sentiments d’infériorité les conduisent à développer une véritable mentalité de sous-prolétariat », explique l’historienne de la psychologie.

 

Une confusion entretenue par les psys ?

Les psychologues entretiendraient-ils donc eux-mêmes cette confusion identitaire ? « Il est urgent de faciliter une meilleure lisibilité de la profession de psychologue. Pour commencer, il serait nécessaire que les psychologues eux-mêmes arrêtent de jouer les VRP multicartes. Il n’est pas rare de lire sur des cartes de visite l’intitulé suivant : psychologue clinicien, psychanalyste, psychothérapeute. En développant sciemment la confusion entre une identité, un champ, un statut, une fonction, une méthode, nous concourons à ce grand magma psy que nous dénonçons par ailleurs », souligne ainsi Patrick Cohen, psychologue du travail et chargé de communication à la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP), dans l’ouvrage collectif La psychologie clinique et la profession de psychologue. (Dé)qualification et (Dé)formation ? (2).

Fin mot de l’histoire : aux décisionnaires de l’Éducation Nationale de réintégrer la psychologie dans les tablettes de Terminale, aux journalistes de diffuser une psychologie plus juste, aux psychologues eux-mêmes de mieux s’unir et de mieux communiquer sur leur profession… Autant dire que nous ne sommes pas prêts de tordre le cou, collégialement, à ces idées reçues tenaces. ∞

 

(1) Annick Oyahon,  Régine PlasLa psychologie en questions, Cavalier Bleu, 2011. Annick Oyahon est historienne de la psychologie, maître de conférences honoraire à l’université Paris 8, et membre du Centre Alexandre Koyré, centre de recherche en histoire des sciences et des techniques (CNRS, EHESS, MNHN). Régine Plas est professeure émérite en histoire de la psychologie à l’université Paris Descartes (Paris 5), et membre du centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société Cermes3 (laboratoire associé à l’université Paris 5, au CNRS, à l’EHSS et à l’Inserm).
(2) Patrick Ange Raoult (dir.)La psychologie clinique et la profession de psychologue. (Dé)qualification et (Dé)formation ?, L’Harmattan, 2005

 
Faire comprendre que les psychologues n’ont pas de baguette magique
 

Au quotidien, les psychologues n’échappent pas aux fausses croyances attachées à leur profession, que celles-ci émanent de patients ou d’amis. « Ces idées reçues me posent parfois problème dans ma pratique, témoigne ainsi Nicole Voisembert, psychologue clinicienne en libéral et en crèche. Je reçois des mères avec leurs enfants qui attendent essentiellement des conseils éducatifs. J’ai eu des patientes qui ne comprenaient pas que le travail qu’elles avaient à faire était de revisiter leur histoire pour pouvoir trouver leurs propres solutions et déployer les ressources qu’elles ont en elles. Je tente de leur faire comprendre que je n’ai pas de baguette magique, que parfois le travail est long pour se libérer de ce qui peut nous empêcher d’avancer. De même, dans ma vie privée, cela peut aussi être compliqué. Quand je dis que je suis psy à des gens que je rencontre, j’observe trois cas de figure : soit ils me fuient de peur que je ne lise dans leurs pensées ou que j’analyse leurs propos, soit ils me racontent leur vie tout à trac et se déversent sans que j’aie eu le temps de dire ouf, ou bien ils se lancent dans une diatribe anti-psy du type : «  De toute façon, ils sont plus fous que leurs patients  », «  Les psys ne servent à rien et la psychologie, c’est de la foutaise  »… Dans mes relations amicales, je reste désormais vigilante car certaines de mes amies, sous prétexte que je suis à l’écoute des autres, en étaient arrivées à se déverser sans scrupules à chacune de nos rencontres. J’ai donc appris à ne pas me mettre systématiquement en position d’écoute. »

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

4 commentaires sur « Gare aux idées reçues sur les psychologues ! »

  1. Merci à vous pour cet article. Je suis psychologue clinicienne et du travail. J’exerce en tant que consultante indépendante et à mi temps en tant que salariée dans un service de santé au travail.
    Depuis bien longtemps j’affiche clairement ma profession, mes méthodes et j’ai l’occasion d’expliquer la différence entre psychiatre, psychanalyse et psychologue.
    Je dénonce des méthodes totalement pompées dans notre champ d’exercice : médiation professionnelle, coaching, debriefing post-traumatique et autre…par des non psychologues avec des conséquences sur les salariés.
    Les entreprises bénéficiaires des services de psychologues comprennent rapidement l’intérêt de nos interventions en terme d’analyse, de conseil et d’accompagnement pour améliorer les conditions de travail.
    Les salariés que je reçois en soutien sur les questions de souffrance au travail, après une légère appréhension, ressentent aisément un mieux être et me remercient ensuite de l’aide apportée.

  2. Merci pour votre article fort intéressant… et tellement réaliste. Je vous rejoins sur la notion de remise en question de la part des Psychologues afin de permettre un meilleur échange autour de notre profession, des représentations qui peuvent y être liées.
    Psychologue clinicienne, j’ai opté pour une clairvoyance avec les personnes que j’accompagne et cela semble être bien reçu. Lorsque me sont posées des questions d’ordre personnel, j’explique les raisons pour lesquelles je ne souhaite pas y répondre (entrave au lien thérapeutique…). De même la notion de guidance plus que de conseil. L’ensemble de notre discipline m’intéresse : clinique, psychanalyse, neurosciences, cognitive… Mais je crois que nous payons les dogmes de certaines notions psychanalytiques… A nous de nous saisir de la richesse notre profession, de la faire connaître, de sortir de ce carcan mutique et mystérieux que certains entretiennent et qui, à mon humble avis, nous est défavorable. Faisons connaître ce superbe métier qui ne cesse de nous grandir par l’enrichissement que les personnes nous apportent, par la complexité et la diversité de la nature humaine qui rend notre profession indéfiniment passionnante!

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