Le syndrome du bébé secoué : l’urgence de la prévention

Retrouvez cette enquête publiée dans la revue Le Cercle Psy. SBS. Ces trois lettres bien connues des professionnels de la santé désignent un acte violent et lourd de conséquences pour la jeune victime et sa famille : le Syndrome du Bébé Secoué.

« Je ne sais pas ce qui est le plus difficile : penser perdre son enfant ? Savoir qu’il a été victime de maltraitance ? Vivre avec la rage et la haine comme colocataires ? Être suspectés à tort et effectuer 26h de garde à vue ? Ne pas savoir ce qui s’est réellement passé ? Le voir grandir avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ? » Marie Lemeille Santais[1], maman d’Erwan, un petit garçon secoué à l’âge de 6 mois et demi par une personne extérieure à la famille, est devenue par la suite vice-présidente de l’association Stop Bébé Secoué[2]. Le syndrome du bébé secoué désigne un traumatisme crânien non accidentel (TCNA)[3] survenant lorsqu’un adulte – le plus souvent excédé par les pleurs d’un enfant – en vient à le secouer violemment pour le faire taire.

Des séquelles multiples

La violence du geste de l’adulte associée à la fragilité de la musculature du cou du bébé et à la lourdeur de sa tête peut entraîner des lésions très importantes au niveau du cerveau mais aussi de la rétine et de la moelle épinière. La tête du bébé est balancée rapidement et fortement d’avant en arrière au point que son cerveau vienne heurter les parois du crâne et que des vaisseaux sanguins se déchirent. Chaque secousse est susceptible d’écraser le tissu cérébral contre la boîte crânienne. Aussi, les séquelles potentielles du SBS sont multiples, comme l’indique Anne-Laurent Vannier, présidente du groupe de travail de la Haute autorité de santé (HAS) sur le bébé secoué[4] : « les séquelles [sont] avant tout intellectuelles (troubles des apprentissages allant jusqu’à une déficience mentale), comportementales (agitation, agressivité, défaut d’initiative…), visuelles (malvoyance allant jusqu’à la cécité) mais aussi motrices et somatiques (épilepsie), souvent majeures et définitives ». Marie Lemeille Santais complète : « Les séquelles du SBS peuvent arriver très tardivement… J’ai l’exemple d’une petite fille qui allait plutôt bien jusqu’à ses 11 ans, puis les retards ont commencé à être imposants jusqu’à ce qu’elle soit déscolarisée ». Notons que les petits garçons sont plus touchés par le secouement que les petites filles, et que deux tiers des cas surviennent avant l’âge de six mois. La prématurité et les grossesses multiples sont des facteurs de risques.

Ces pères qui passent à l’acte

Du côté des auteurs des faits, les profils sont variés et concerneraient tous les milieux socio-culturels. Dans la majorité des cas (70%), il s’agit d’un homme, le père de l’enfant le plus souvent. Sur les 151 cas analysés par une équipe de recherche américaine[5], les compagnons de la mère étaient en cause dans 20% des cas et les baby-sitteuses dans 17% des cas. Dans sa thèse de doctorat consacrée au SBS, Etienne Mireau souligne que ces parents méconnaissaient les besoins et les comportements normaux d’un bébé. Aussi, le jeune âge des parents est souvent mis en avant comme un facteur de risque supplémentaire, tout comme l’abus de substances psychoaffectives et la présence de violences familiales au sein du foyer.  

Une prévention difficile

Dès lors, comment prévenir cette forme de maltraitance ? Le premier programme de prévention appelé « Don’t shake a baby » a été réalisé en 1992, aux Etats-Unis. Il consistait à informer les parents sur la signification des pleurs d’un nourrisson et sur la manière de les accompagner. Une recherche menée en 2011 sur un ensemble de 19 maternités, sur une période de 8 ans, a noté une baisse du nombre de bébés secoués de 75% grâce au programme de prévention mis en place (consultation brève avec une infirmière accompagnée d’une vidéo de quelques minutes). En France, peu de recherche de cette envergure ont été réalisées, la plupart de ces études devant recourir à des moyens techniques importants, coûteux et chronophages. Pour autant, quelques actions de prévention sont mises en place sur le territoire dont celle illustrée par Philippe Geluck « Il ne faut jamais secouer un bébé, secouer peut tuer ou handicaper à vie » et celle réalisée par l’équipe de Necker : « Il ne faut pas secouer votre bébé : il est fragile ».  


« Je pleure donc je suis » : un court-métrage choc à partager

Le département de la Vendée a réalisé un excellent court-métrage préventif sur le SBS qui mériterait d’être visionné par l’ensemble des jeunes parents et des professionnels en charge de nourrissons. Ce film d’une dizaine de minutes est en accès libre sur internet.


Des statistiques sous-évaluées

Entre 120 et 240 nourrissons seraient concernés par le SBS, chaque année en France. Toutefois, ce chiffre serait très probablement sous-évalué. De nombreux parents racontent au corps médical que leur enfant a chuté ou qu’ils ont tenté de le réanimer, craignant les enjeux juridiques. Le diagnostic du SBS est donc difficile à poser, d’autant plus qu’aucune autopsie automatique n’est effectuée pour les enfants décédés de manière inattendue. Notons que dans la moitié des cas de bébés répertoriés, le secouement avait été réitéré en moyenne 10 fois, de 2 à 30 fois sur le même enfant.


« J’ai chaud. J’en peux plus… » : le thermomètre de la colère ©

Cet outil[6], développé par Sylvie Fortin, infirmière et chercheuse au CHU Sainte-Justine à Montréal, vise à faire prendre conscience au parent de la colère qui monte face aux pleurs de son bébé. Ce feuillet de 6 pages, qui propose des stratégies pour se détendre, est un excellent support pédagogique.


[1] Extrait de son témoignage « Syndrome du bébé secoué : ‘ces histoires sordides n’arrivent pas qu’aux autres’ » publié sur le site de Parole de Mamans.

[2] Cette jeune maman nous indique que plus de deux ans après les faits, ils n’ont toujours pas obtenu d’aveux de la part de l’auteur présumé des faits et ne sauront pas encore si l’affaire sera classée sans suite.

[3] Le SBS est également désigné sous l’appellation de Traumatisme Crânien Infligé (TCI)

[4] Extrait de son article « Syndrome du bébé secoué. Des séquelles irréversibles » publié dans la revue L’école des parents de 2014, n°610.

[5] Starling SP, Holden JR, Jenny C. Abusive head trauma: the relationship of perpetrators to their victims. Pediatrics1995;95, 259-62.

[6] Editions CHU Sainte-Justine, 2002.

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

Un avis sur « Le syndrome du bébé secoué : l’urgence de la prévention »

  1. Bonjour, je m’intéresse à ce sujet suite à un stage dans une crèche. Là j’ai vu un bébé de 6 mois s’endormir violement balancé dans le transat pour les bébés. Je voulais vous demander.. est ce que c’est possible que ça soit considéré secoué? Vous pouvez vous imaginer une violence de balancement qui peut être considéré de telle façon ? Moi je me suis imaginé à sa place en tant que adulte, et j’ai eu un fort sentiment que quelques chose ne va pas avec cette méthode. Merci beaucoup et bravo pour les article que vous écrivez

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