Retrouvez cet article publié dans la revue Sciences Humaines (Mensuel N° 329 – Octobre 2020)
Le développement d’un enfant est jalonné de normes : il doit savoir parler à tel âge, lire et compter à tel autre… Les enfants qui sortent du cadre risquent de se retrouver en marge des bancs de l’école. Et si le problème n’était pas le développement atypique de ces enfants mais plutôt la normativité de nos attentes ?
Dès son plus jeune âge, les enseignants ont prédit à Bastien une vie ponctuée d’échecs et de difficultés scolaires. « Ne vous faites pas trop de faux espoirs, ont-ils dit à ses parents. S’il atteint le CM2, c’est déjà bien. S’il dépasse le collège, ce serait un miracle ! ». Il faut dire que Bastien souffre d’une dyslexie et d’un TDA (Trouble Déficitaire de l’Attention) avec hyperactivité. Une dizaine d’années de lutte, de sacrifices et de prise en charge plus tard, Bastien intègre une grande école de commerce. Aujourd’hui, cet élève-qui-n’était-pas-censé-dépasser-le-CM2, a fondé une entreprise de communication et dirige une équipe de vingt personnes. Et quand vous lui demandez ce qui lui a permis de s’extraire de la case « sans espoirs » dans lequel on l’avait condamné étant enfant, Bastien vous répond : « mes parents ». Ils ont déménagé pour se rapprocher des meilleurs spécialistes, pris des jours de congés pour se former à l’accompagnement d’enfants atypiques et contracté des crédits pour financer les prises en charge. A l’instar des enseignants, leur regard sur leur fils a toujours été pétri d’espoirs. La victoire de Bastien est, au final, la victoire de toute sa famille.
Cette délicate frontière entre le normal et le pathologique
Les enfants qui, comme Bastien, s’écartent des normes et grandissent en « décalé » ne sont pas rares. 1 à 10% des enfants souffrent d’un trouble « dys »[1], 18% sont concernés par un problème de développement. Et, si l’on inclut les problématiques émotionnelles et comportementales, cette prévalence grimpe à 22%[2] ! Ces trajectoires développementales considérées comme « hors normes » sont multifactorielles : elles reposent sur la maturation cérébrale de l’enfant, certes, mais également sur les composantes sociales, adaptatives, culturelles et familiales de son environnement[3]. Au vu de la multiplicité des profils de ces enfants, une question reste en suspens : la frontière entre le normal et le pathologique est-elle aussi objective et infaillible qu’on pourrait le croire ? Non, bien entendu. Cette même frontière, qui a toujours fait l’objet de débats chez les scientifiques, demeure tributaire d’une société, d’une époque, d’un ensemble d’attentes déterminées à l’égard du développement et du comportement des enfants.
Dans une autre époque, le TDAH de Bastien n’aurait peut-être pas été un handicap
Prenons l’exemple du TDAH dont souffre Bastien. Comme nous le rappelle un rapport de l’INSERM de 2009[4], sa prévalence varie de 0.4% à 16.6%[5] selon le pays, la méthode diagnostique employée, les critères de mesure utilisés et la définition de la population concernée. Peut-être Bastien aurait donc été diagnostiqué avec un TDAH dans une étude et non dans une autre. L’identification de ce trouble demeure également tributaire d’une époque donnée. Dans la population ancienne des chasseurs-cueilleurs et des nomades par exemple, des profils TDAH comme celui de Bastien auraient été très adaptés. De nature hyper-alertes, ils auraient été de meilleurs chasseurs que leurs congénères, optimisant leurs chances de survie et celles de leur communauté. L’évolution vers un mode de vie plus sédentaire et industriel leur est, au final, moins ajusté. Par ailleurs, selon une recherche publiée en 2011 dans la revue Applied Psychology: Health and Well-Being, force est de constater que les enfants diagnostiqués avec un TDAH présentent une amélioration de la concentration et un meilleur contrôle de leur impulsivité lorsqu’ils jouent à l’extérieur[6]. Autrement dit, lorsqu’ils se rapprochent des conditions de vie pour lesquelles les mammifères sont programmés (vivre en mouvement et à l’air libre), leur symptomatologie est fortement réduite. De ces constats découlent une autre question : au final, les problématiques des enfants n’émergeraient-elles pas que lorsque l’on tente de les conformer à un mode de vie qui n’est pas adapté à leurs spécificités ? Il est intéressant de rappeler que l’un des critères diagnostiques de nombreux troubles est l’interférence significative et durable des symptômes avec la qualité de la vie scolaire, sociale et familiale de l’enfant. Ce qui pose, en conséquence, la question du mode vie scolaire (là où la symptomatologie est généralement la plus gênante) : est-ce ces enfants qui ne sont pas adaptés à la vie scolaire du fait de leur trouble identifié, ou est-ce les attentes de la vie scolaire qui ne sont pas toujours adaptées à la pluralité des profils de des enfants ? Dès lors, la spécificité de l’école (être sédentaire plusieurs heures par jour dans un espace clos) et l’uniformité des attentes scolaires paraissent être des facteurs explicatifs de certains troubles de l’enfance. Ce qui nous rappelle la légendaire et toujours actuelle citation d’Albert Einstein : « Si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide ».
L’importance du regard positif des parents
Comme nous le confirme le témoignage de Bastien, le regard que porte le parent sur les particularités de son enfant joue aussi un rôle majeur dans son épanouissement et sa réussite : « on a confiance en toi », « tu vas y arriver », « Tu en es capable ». Une étude datant de 2006 a montré que le niveau d’optimisme parental augmente les chances de succès de l’enfant qui vient augmenter, à son tour, sa disposition à l’optimisme[7]. Or, diverses recherches menées dans les milieux scolaires ont mis en évidence un lien entre la pensée optimiste développée chez l’enfant et les meilleures performances scolaires et universitaires[8]. Ce constat croise l’« effet pygmalion », un concept qui est à l’origine d’un débat passionné depuis une trentaine d’années. Selon cette forme de prophétie auto-réalisatrice, la croyance en la réussite d’un individu de la part d’une autorité (un enseignant ou un parent) entraîne une amélioration réelle des performances de cet individu[9]. En d’autres termes, le simple fait de croire en la réussite d’un enfant augmenterait sa probabilité de réussite. Aussi, malgré la trajectoire développementale atypique d’un enfant et le pessimisme des enseignants, l’attitude parentale peut donc être, dans certaines conditions, un élément différenciant dans le pronostic de son évolution. Et, en conséquence, de sa réussite professionnelle et de son épanouissement à l’âge adulte. Justement, que deviennent ces enfants extra-ordinaires à l’âge adulte ?
Que deviennent ces enfants « hors-normes », une fois adultes ?
Chez certains enfants, les troubles qui ont impacté leur scolarité peuvent continuer à être sources de vives difficultés à l’âge adulte dans leur vie professionnelle et personnelle. Chez d’autres, la roue tourne dès lors qu’ils quittent les bancs normatifs de l’école. Ils finissent par trouver l’épanouissement qu’il leur a toujours manqué, se construisant une existence sur-mesure, en phase avec leurs caractéristiques. Parfois, les particularités qui les ont handicapées durant leur scolarité deviennent même un atout dans le monde professionnel. Les profils avec un TDAH sont connus pour leur indépendance, leur rapidité d’exécution et leur dynamisme. Ils peuvent exceller dans des postes extraordinaires et/ ou éloignés de toute routine comme celui d’expert, de conseiller, de formateur, d’orateur, d’acteur. Une recherche récente de 2018 publiée dans The Journal of Creative Behavior[10], souligne chez les adultes avec un TDAH leur tendance à résister à la conformité. Cette mise à distance des informations classiques au profit de données nouvelles les prédispose à un talent d’innovation. Les adultes dyslexiques, quant à eux, sont connus pour leur créativité, leur ténacité et leur capacité de travail[11]. Les difficultés d’apprentissages auxquelles ils ont été confrontés leur ont permis de développer des capacités de compensation, de la persévérance et de la créativité pour contourner les problèmes. Les recherches soulignent un nombre élevé de dyslexiques chez les chefs d’entreprise. Tandis que la dyslexie touche 4% de la population, la prévalence grimpe à 20% chez les dirigeants. Il en est de même pour les adultes Asperger. Certaines entreprises recherchent ces profils connus pour leur mémoire hors du commun, leur stabilité mais aussi leur tendance compulsive à rassembler un maximum d’éléments sur un domaine d’expertise très spécifique. Le Prix Nobel de littérature Thomas Mann, Gandhi, Winston Churchill, le cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder, Paul Cézanne… Nombreuses sont les personnalités hors cadre à avoir connu une scolarité ponctuée d’échecs qui ont fini par marquer l’histoire de leur pays… Ou juste, par s’épanouir à l’âge adulte. Après tout, comme le conclut Idriss Aberkane, docteur en neurosciences cognitives et essayiste français dans son ouvrage « Libérez votre cerveau » (Robert Laffont, 2016) : « Nous ne sommes pas là pour nous conformer à une empreinte, mais pour laisser la nôtre ».
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Les élèves à haut potentiel ne s’en sortent pas mieux
Contrairement aux apparences, les élèves à haut potentiel ne s’en sortent pas nécessairement mieux que les autres, le quotient émotionnel (QE) étant un meilleur prédicateur de la réussite scolaire (et de la réussite professionnelle) que le seul quotient intellectuel (QI). Selon l’américain Daniel Goleman, le docteur en psychologie clinique et en développement personnel qui a popularisé le concept d’intelligence émotionnelle (IE), notre intelligence émotionnelle viendrait bloquer ou amplifier nos capacités cognitives comme l’apprentissage, la mémorisation ou la résolution de problèmes[12]. Des états émotionnels positifs, comme la maîtrise des pulsions et des émotions, l’optimisme ou encore l’espoir, induisent des meilleures performances. A l’inverse, des états négatifs comme l’anxiété ou le pessimisme, découle une performance moindre[13]. L’UFAPEC, l’Union Francophone des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique demande à ce titre que cette dimension essentielle des apprentissages des élèves soit intégrée dans la formation des enseignants.
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Neurodiversité : la différence n’est pas une déficience
Cette question de la différence inter-individuelle est au cœur d’un débat étroitement lié aux Troubles du Spectre de l’Autisme, celui de la neurodiversité. Selon ce concept, apparu publiquement en 1998 dans l’article Neurodiversity de l’écrivain Harvey Blume[14], les individus dont le fonctionnement se distingue de la majorité et qui s’écarte des normes (fixées en fonction de cette même majorité) ne sont pas déficients mais « neuro-atypiques ». Au même titre que la biodiversité, la neurodiversité désigne une variabilité neurologique chez l’être humain, incluant différents fonctionnements neurologiques. Les individus ayant un TSA ne sont pas déficients, ni défectueux. Ils présentent simplement un fonctionnement mental différent des « neuro-typiques », une thèse largement défendue par nombre d’associations et de scientifiques dont Michelle Dawson, militante et chercheuse à l’Université de Montréal[15]. « … Pendant que j’y suis, sachez que je trouve particulièrement intéressant que mon incapacité à apprendre votre langage soit vu comme un déficit alors que votre incapacité à apprendre mon langage vous semble parfaitement naturelle, vu que l’on décrit des gens comme moi comme mystérieux et déroutants. Cela, au lieu d’admettre que ce sont les autres qui sont déroutés… » témoigne l’américaine Amanda Baggs, diagnostiquée avec un autisme sévère non verbal, dans sa stupéfiante vidéo mise en ligne sur You Tube[16].
[1] Une statistique qui varie nettement selon les études, les pays, les époques et la sévérité des troubles étudiés
[2] Glascoe, F. P. (2005). Screening for developmental and behavioral problems. Ment Retard Dev Disabil Res Rev, 11(3), 173-179.
[3] Resch, F. (2008). Developmental Psychapathology in Early Childhood: Interdisciplinary Challenges. Dans S. Papousek, Wurmser (Éd.), Disorders of Behavioral and Emotional Regulation in the First Years of Life: early risks and intervention in the developing parent-infant relationship (p. 13-25). Washington: Zero to Three.
[4] Institut national de la santé et de la recherche médicale, Expertise opérationnelle. Santé de l’enfant : propositions pour un meilleur suivi. Paris: INSERM; 2009.
[5] Bursztejn C. L’hyperactivité motrice avec déficit de l’attention. Enfances Psy 2001;3(15):137-45
[6] Faber Taylor, A. and al. (2011). Could Exposure to Everyday Green Spaces Help Treat ADHD? Evidence from Children’s Play Settings. Applied Psychology: Health and Well-Being. 3(3), 281-303.
[7] Heinonen K., Räikkönen K., Matthews K. A., Scheier M. F., Raitakari O. T., Pulkki L. & Keltikangas-Järvinen L. (2006) Socioeconomic status in childhood and adulthood: Associations with dispositional optimism and pessimism over a 21-year follow-up. Journal of Personality 74(4):1111–26. [aNB]
[8] Peterson, C., & Barrett, L. C. (1987). Explanatory style and academic performance among university freshman. Journal of Personality and Social Psychology, 53(3), 603–607. https://doi.org/10.1037/0022-3514.53.3.603
[9] Davidson, O. B., & Eden, D. (2000). Remedial self-fulfilling prophecy: Two field experiments to prevent Golem effects among disadvantaged women. Journal of Applied Psychology, 85(3), 386–398. https://doi.org/10.1037/0021-9010.85.3.386
[10] Holly A. White. Thinking “Outside the Box”: Unconstrained Creative Generation in Adults with Attention Deficit Hyperactivity Disorder. The Journal of Creative Behavior, 2018; DOI: 10.1002/jocb.382
[11] LauraMalié (2016). Quand la dyslexie devient un point fort: témoignages d’adultes dyslexiques sur les atouts de leur trouble des apprentissages au sein du monde professionnel. Médecine humaine et pathologie.
[12] Daniel Goleman, L’intelligence émotionnelle : comment transformer ses émotions en intelligenceTrad. T. Piélat, Paris, Éditions Robert Laffont, 1997.
[13] Parker, J. D., Creque Sr, R. E., Barnhart, D. L., Harris, J. I., Majeski, S. A., Wood, L. M., … Hogan, M. J. (2004). Academic achievement in high school: does emotional intelligence matter? Personality and Individual Differences, 37(7), 1321-1330.
Simon Guiller. Compétences émotionnelles et bien-être en milieu scolaire. Education. 2018. dumas01807923
[14] Harvey Blume (1998) « Neurodiversity : On the neurological underpinnings of geekdom », The Atlantic.
[15] https://distinctions.umontreal.ca/luniversite-honore/doctorats-honoris-causa/doctorats-honoris-causa-2013/profil/udemportraits/f/michelle-dawson-1/
[16] Vidéo traduite en français : https://www.youtube.com/watch?v=1EvvotxGq4k
Merci Héloïse Junier pour votre article fort intéressant !!!
C’est toujours un plaisir de vous lire!
J’ai également vécu des difficultés d’apprentissage lorsque j’étais enfant., sans pour autant avoir eu un diagnostic quelconque de posé.
Une institutrice avait dit à mes parents devant moi, « votre fille ne fera pas de grande étude, elle est trop lente, elle ne comprend pas très vite…!!! ». Ce jour là j’avais eu l’impression que l’on m’avait planté un couteau dans le cœur!
C’était tellement difficile à vivre ce sentiment de ne pas être comme les autres, alors entendre de tels discours c’était encore pire! J’avais même pensé plus d’une fois au suicide.
Malheureusement mes parents ne savaient pas quoi faire et n’avaient pas eu d’accompagnement.
Il a fallut que je rencontre mon mari
pour prendre confiance en moi.
Son soutien m’a permis d’obtenir un cap petit enfance, puis mon diplôme d’auxiliaire de puériculture et aujourd’hui d’obtenir mon diplôme d’éducatrice de jeunes enfants!
J’adore mon métier, je suis totalement passionnée et épanouie dans mon travail même si je souffre tjs de mes difficultés de concentration, d’orthographe…
Aussi j’aurais une question à vous poser.
Est-t’il possible en tant qu’adulte de faire des tests pour qu’un diagnostic me soit posé?
Merci d’avance.