Retrouvez cette enquête publiée sur le site du Cercle Psy.
En une quinzaine d’années, les services de néonatalogie ont réalisé d’énormes progrès pour limiter le stress des bébés nés prématurés. Pour autant, ils ne parviennent pas à égaler les conditions de vie et de développement du milieu intra-utérin.
« Le bruit de la machine qui aidait Mélina à respirer était très important, un peu comme une machine à laver en mode essorage ! On lui avait mis comme un casque de chantier sur les oreilles pour limiter la gêne. Et puis, toutes les trois heures, elle nécessitait des soins : lavage oculaire, gavage alimentaire, prise de tension artérielle, change… Cette hyperstimulation sensorielle, bien qu’obligatoire, était stressante. Mais au final, ce qui nous dérangeait le plus était la voix de certaines infirmières pendant les soins, à des décibels bien trop élevés pour ce petit bébé ! » se souvient Aline, maman de Mélina, une petite fille née dans un hôpital parisien à 26 semaines de grossesse, pour 640 grammes et 32 centimètres. Comme Mélina, les enfants qualifiés de « grands prématurés » (nés entre 26 et 30 semaines de grossesse[i]) sont malheureusement exposés à de multiples facteurs de stress durant leurs premières semaines de vie. Leur petit corps à peine sorti du ventre de leur maman est soumis quotidiennement à des procédures de soin douloureuses et invasives auxquelles il n’est pas préparé. L’environnement sensoriel est agressif : les machines grondent, bipent, les lumières éblouissent, clignotent, les voix portent, les matériaux en métal s’entrechoquent. Le bruit, qui provoque chez l’enfant des sursauts, des trémulations ou des extensions de membres par réaction, puise une énergie importante.
Le stress de début de vie impacte l’individu à long terme
Or, depuis une dizaine d’années, la recherche scientifique souligne la probabilité de l’impact d’une exposition précoce au stress sur le développement psychologique du sujet à long terme[1]. Pour mieux comprendre ce mécanisme, un détour dans les fibres du cerveau des bébés s’impose. Face à un stress, l’hypothalamus se met à sécréter du cortisol, une hormone de stress. Dès 30 semaines de grossesse, cette réponse hormonale au stress est fonctionnelle, ce qui signifie que la majorité des bébés prématurés sécrètent autant de cortisol qu’un enfant plus âgé. Or, si cette sécrétion de cortisol est utile pour mobiliser de l’énergie de manière épisodique, elle devient toxique pour le cerveau de ces bébés lorsqu’elle est sécrétée à hautes doses. Ces décharges importantes de cortisol peuvent altérer certaines structures de leur petit cerveau et les réponses neurobiologiques de l’organisme face au stress. De nombreux travaux ont souligné une corrélation entre le stress de la maman, le taux de cortisol chez l’enfant et ses trajectoires de développement psychologiques. Nous savons désormais que l’expérience sensorielle précoce influence l’organisation neuronale, module le cerveau de l’enfant. Si certains neurones maturent de manière autonome, d’autres ont besoins d’être stimulés. A partir de mesures réalisées par des électroencéphalogrammes (EEG), on a pu constater que les bébés qui avaient plus d’activité physique au cours des premières heures de vie témoignaient d’une meilleure croissance cérébrale. De même, ceux qui évoluent au sein d’un environnement mécanique tendent à manifester un moins bon développement que les bébés qui baignent dans un univers humain, auprès d’adultes. Si bien qu’à long terme, pour des raisons multifactorielles, nous pouvons observer, chez les enfants nés grands prématurés, des troubles d’ordre émotionnel et cognitif, ainsi que des problèmes d’attention, de mémoire et d’apprentissage durant l’enfance et l’adolescence. Et pourtant. Jusque dans les années 1970, les équipes opéraient les nouveau-nés et les bébés sans anesthésie. Compte tenu du faible niveau estimé de « conscience » et de ressenti de ces petits patients, cette procédure était considérée comme superflue…
Diffuser de la musique, baisser les lumières
En une trentaine d’années s’est opéré un virage à 180 degrés. De la recherche sur les émotions des prématurés est né un souhait commun aux unités de néonatalogie : limiter le stress et la douleur de ces enfants au poids plume et augmenter leur bien-être. S’approcher au plus près des conditions de vie intra-utérines en reconstituant une sorte de cocon. On diminue le grondement des machines (qui tend à augmenter le rythme cardiaque) au profit de la musique et de la voix maternelle, particulièrement relaxante. On s’efforce de limiter les soins douloureux, les sources de lumières vives, les bruits forts et soudains, les trop grands écarts de températures. Un cycle circadien jour-nuit peut être créé, tandis que l’ensemble des soins tendent à être regroupés sur un même temps. « Les besoins de Mélina étaient une priorité. Une infirmière avait réalisé un tableau avec les ‘’j’aime’’ (qu’on me caresse le pied, l’odeur de maman…) et les ‘’j’aime pas’’ (le bruit, qu’on parle trop fort…) » se souvient Aline. En 1996[2], Lynda Harrisson, chercheuse en sciences infirmières à l’université d’Alabama à Birmingham, met au point Le Gentle Human Touch. Cette technique d’apaisement consiste à placer une main sur la tête de l’enfant et l’autre sur l’un de ses membres, pendant plusieurs minutes. Peuvent également être proposés à l’enfant des massages légers, des caresses et des temps de succion non-nutritive. Dans les années 80 est née en Colombie la célèbre méthode « kangourou » qui a permis à de nombreux pays en voie de développement d’augmenter les chances de survie des bébés très prématurés. Cette technique consiste à reproduire, chez les bébés humains, le type de croissance extra-utérine observée chez les bébés kangourous. L’enfant est placé sur le ventre de sa maman, la tête vers le haut, peau contre peau. Cette méthode regorge de bienfaits : elle permet d’offrir à l’enfant des propriétés de régulation de chaleur semblables à celles d’un incubateur, de diminuer la douleur induite par les soins, les pleurs, d’améliorer la proximité et la relation entre les parents et leur bébé, d’inclure davantage le papa (puisqu’il peut lui aussi prendre le relais de la maman et pratiquer le peau-à-peau avec son enfant). Si l’ensemble des unités de néonatalogie tendent vers cet objectif, toutes ne déploient pas la même volonté, ni les mêmes moyens. Faire évoluer les pratiques des soignants est un travail de fond difficile nécessitant des formations régulières, un management efficace, des évaluations et des remises en question. Bien souvent, les actions menées sur un temps T n’induisent que des effets provisoires.
L’excellente certification NIDCAP
Certaines équipes vont plus loin et visent l’excellente certification NIDCAP[3] (Newborn Individualized Developmental Care and Assessment Program – Programme Néonatal Individualisé d’Evaluation et de Soins de Développement). Derrière cet acronyme se cache une suite de stratégies de soins de développement rigoureuses à appliquer le plus tôt possible, de manière individualisée et centrée sur l’enfant et sa famille. Le bébé est considéré comme un acteur à part entière. C’est autour de lui, et de sa famille, que s’organise le service. Chaque soin nécessite d’être revisité et transformé. L’ensemble de l’environnement du bébé est remis en question : le bruit, la lumière, le couchage, les soins, l’hygiène, l’alimentation. Il peut être par exemple préconisé de recourir à un matelas d’eau pour les bébés de tout petit poids, de tenir l’enfant à distance des échanges entre soignants, surtout pendant le temps de la relève, de manipuler méticuleusement les portes de placard et les poubelles pendant le temps du ménage pour éviter les bruits d’impact métallique, de positionner un doudou odorant près du visage de l’enfant dès que la voie centrale est ôtée, de réchauffer tous les matériaux qui sont en contact avec sa peau, tel que le thermomètre, le liniment, le sérum physiologique… Le NIDCAP a un atout majeur, celui de reposer sur des preuves scientifiques. Ses bénéfices ont pu être mesurés à multiples reprises. En 2014, une méta-analyse d’essais cliniques réalisés au Centre Hospitalier Universitaire de Caen[4] confirme le bénéfice du NIDCAP sur le développement des enfants prématurés dans les 24 premiers mois de vie. Il est constaté par ailleurs que ces soins de développement diminuent la durée du séjour des enfants. En 2012, une recherche menée à Boston[5] confirme l’impact positif du NIDCAP sur le développement cérébral des enfants présentant un retard de croissance intra-utérin, nés entre 27 et 33 semaines. Une recherche de 2013[6] souligne que le fait d’autoriser les parents à dormir dans le service et à participer aux soins de leur bébé encourage leur présence prolongée. Les parents étant perçus dans le NIDCAP comme des co-régulateurs naturels pour leur enfant, il est important de les encourager à rester auprès de leur bébé. L’objectif de la Fédération Internationale NIDCAP (dite NFI), une organisation internationale à but non lucratif, est de soutenir le développement de cette pratique dans les hôpitaux du monde entier. Actuellement, la formation au NIDCAP est dispensée par 19 centres, dont neuf se situent aux Etats-Unis, neuf en Europe et un en Amérique du Sud. Toutefois, le niveau d’exigence et les frais engendrés étant tous les deux importants, la certification NIDCAP n’est pas aisément accessible par l’ensemble des équipes qui le souhaiteraient.
La fin du séjour dans le service amorce une aventure délicate, celle du retour à la maison. Les parents quittent le cocon hospitalier pour se retrouver seuls, dans l’intimité de leur foyer, en présence d’un petit être vulnérable qu’ils viennent tout juste d’apprivoiser. Toutes les unités n’accompagnent pas la famille dans ses premiers pas au domicile. Aline nous indique que, dans le service où était accueillie sa fille, une réunion était organisée chaque mois pour sensibiliser les parents à la manière de s’occuper d’un bébé né prématurément. « Une bonne initiative qui nous a permis de prendre soin d’elle sans (trop) la surprotéger » indique-t-elle. Pour autant, ces réunions ne semblent pas suffisantes. Aline nous confie avoir ressenti une impression d’être, elle et son compagnon, « lâchés dans la nature ». « Entre joie et angoisse du retour à la maison, nous n’avons pas eu de suivi à domicile. J’aurais apprécié avoir une sage-femme la première semaine pour être rassurée. Je me suis dit qu’on devait nous faire confiance et que l’on devait alors se faire confiance ». Aline poursuit : « l’encadrement hospitalier nous donnait un certain confort, on était cadrés, les scopes traduisaient les émotions de notre fille… ».
Cette préoccupation de la qualité des soins de développement prodigués aux bébés prématurés s’articule à des questions éthiques majeures. Jusqu’où reculera-t-on les frontières de la viabilité ? Doit-on augmenter les prescriptions de morphines pour soulager les bébés malgré l’impact négatif éventuel de cet antalgique sur l’organisme ? Doit-on à tout prix garder en vie des bébés même si d’importantes séquelles sur leur développement sont attendues ?
Des parents sidérés et angoissés
Aux côtés du bébé, on retrouve souvent des parents bouleversés et anéantis. La naissance trop précoce de leur enfant met brutalement fin à un nombre important de rêveries. Ils sont contraints de faire le deuil d’un bébé gratifiant et idéal. Certains parents n’ont pas eu le temps de s’adonner aux derniers préparatifs de l’arrivée de leur enfant. La chambre n’est pas prête, et les premiers bodys pas toujours achetés. Ils ne reçoivent pas les fleurs, les cadeaux, les visites enjouées et les félicitations qu’ils s’étaient imaginé. Ce bébé, qu’on ne souhaite pas exposer à l’entourage, est parfois associé à la honte, plaçant les parents dans une ambivalence et une culpabilité douloureuse. Que dire à la famille et aux amis qui veulent rencontrer l’enfant ? A qui confier le reste de la fratrie ? Comment s’organiser au quotidien ? Doit-on réduire le temps de travail pour rester davantage auprès de l’enfant ?
Le cœur n’est pas à la création d’un faire-part. Leurs préoccupations anxieuses naviguent principalement autour des contraintes organisationnelles, de l’état somatique de leur bébé et, parfois même, de sa survie. Au sein de cet environnement hautement médicalisé et mécanique, les parents peuvent éprouver des difficultés à trouver leur place de parents et à s’ajuster, à interagir avec leur bébé. La première rencontre peut être empreinte d’une certaine ambivalence, loin de ce qu’ils s’étaient imaginé pendant la grossesse : « 48h après mon accouchement, je suis encore en salle de réveil, mon état se stabilise. Entre perfusion, lunettes à oxygène et sonde urinaire, on me propose de rencontrer Mélina en fauteuil accompagnée de Ludovic. Ca y est, je suis dans sa chambre : une pièce sombre et au fond, une couveuse. Je soulève le drap qui est au-dessus. Quand je la vois, je m’effondre de joie et de tristesse à la fois. Après m’avoir informée sur l’état de ma fille, la puéricultrice nous laisse tous les trois. Je ne pouvais pas la prendre dans les bras mais au moins poser une main sur elle… » témoigne Aline. L’état psychologique des parents de bébés prématurés peut nécessiter à lui seul un accompagnement. Il n’est pas rare que les mères souffrent de troubles psychiques. On évalue à 35% le taux de dépression et à 75% la prévalence de l’anxiété. 35% des mères souffriraient d’un Etat de Stress Post-Traumatique (ESPT) manifestant des cauchemars, des pensées parasites, une hypervigilance, des réactions de sursauts, des flash-back. L’ensemble de ces problématiques psychiques s’inscrivent dans un contexte humain au soutien irrégulier. Car nombre des professionnels qui gravitent autour de l’enfant ne sont pas formés à l’empathie et à la relation avec la famille (bien qu’excellents techniciens par ailleurs).
Aline témoigne : « Le 10 juillet, mon pronostic vital est engagé. On m’annonce une césarienne en urgences sous anesthésie générale. Je suis entourée de réanimateurs, de pédiatres et d’un obstétricien qui m’annonce que c’est pour tout de suite. Jusque-là, j’étais restée forte. Mais là, je craque. Je refuse parce qu’il est trop tôt, je pleure, je hurle mais personne ne me canalise. Je suis seule devant tous ces professionnels concentrés sur mon état clinique ». En complément de la qualité des soins prodigués aux enfants, un soutien de la famille s’impose. Trop souvent, le psychologique s’efface au profit du physiologique, de l’urgent, du vital.
Voici le témoignage[7] de la naissance d’un bébé né (très probablement) prématuré, le 26 février 1802. Ce bébé, qui est devenu l’une des plus grandes légendes de la littérature française, vous le connaissez. Il s’appelait Victor Hugo.
« Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre,
C’est moi »
[1] Habersaat, S. et Borghini, A. (2010). Étude du stress périnatal sur le développement de l’enfant prématuré : facteurs biologiques, psychologiques et programmes de prise en charge. Enfances et Psy. Vol 4, n°49, 130-137. DOI : 10.3917/ep.049.0130
[2] Harrisson, L. and al. (1996). Effects of gentle human touch on preterm infants: pilot study results. Neonatal Netw. 15(2):35-42.
[3] L’association NIDCAP France propose un ensemble d’explications et de documentations à l’attention des professionnels http://www.nidcapfrance.fr/
[4] Fazilleau, L. and al. (2014). NIDCAP in preterm infants and the neurodevelopmental effect in the first 2 years. Archives of Disease in Childhood. Fetal and Neonatal Edition. doi: 10.1136/archdischild-2012-303508.
[5] Als, H. (2012). NIDCAP improves brain function and structure in preterm infants with severe intrauterine growth restriction. Journal of Perinatology. 32(10), 797-803. doi: 10.1038/jp.2011.201.
[6] Heinemann, AB. (2013). Factors affecting parents’ presence with their extremely preterm infants in a neonatal intensive care room. Acta Paediatrica. 102(7), 695-702. doi: 10.1111/apa.12267.
[7] Extrait de « Ce siècle avait deux ans »
[i] Une naissance est dite « à terme » lorsqu’elle a lieu entre la 35ème et la 39ème semaine de grossesse.