Dans la tête des enfants violents

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Retrouvez cet article publié dans la revue Le Cercle Psy .

Violences physiques, verbales, psychologiques… De nombreux enfants sombrent dans une violence inattendue pour leur âge, désarmant les adultes qui les accompagnent. Comment expliquer un tel phénomène ?

Hugo, 9 ans, en pleine tempête émotionnelle, vient de poser ses deux petites mains autour du cou de sa maîtresse et de serrer de toutes ses forces. Le lendemain, ce fait divers noircira les colonnes des quotidiens régionaux. Qu’elle soit visible ou invisible, la violence frappe les enfants et laissent démunis leurs éducateurs. Que se passe-t-il dans la tête du petit Hugo ? Une accumulation de stress, de tensions et de frustrations dont, d’un coup, il se décharge. « Ce passage à l’acte est impulsé par la sur-activation de son cerveau émotionnel et la sous-activation de son cerveau frontal. De ce fait, le contrôle de ses émotions lui échappe », explique Catherine Gueguen, pédiatre à l’Institut hospitalier franco-britannique et auteur de Pour une enfance heureuse. Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau (Robert Laffont, 2014). Pris dans une symptomatologie multiple, nombre de ces enfants peuvent d’ailleurs écoper du fameux diagnostic des « Troubles des conduites », cité pour la première fois dans le DSM-II en 1968.

Gérer leurs émotions

L’un des facteurs majeurs s’enracinerait dans une petite partie frontale de notre cerveau située juste au-dessus de nos yeux et nommée COF ou Cortex Orbito-Frontal. Catherine Gueguen lève le voile sur cette structure cérébrale : « Le COF joue un rôle essentiel dans notre capacité à être affectueux, empathique, à développer notre sens moral, mais aussi à réguler nos émotions ». Sa maturation est donc précieuse à l’adaptation de l’être humain en société et à la qualité des liens qu’il va tisser avec ses semblables. Or, Allan Schore (1) et son équipe ont montré que lorsque l’entourage de l’enfant était chaleureux, soutenant et empathique, son COF maturait davantage. À l’inverse, plus l’entourage maltraitait l’enfant, plus il ralentissait la maturation de cette partie fondamentale de son cerveau (2). Martin H. Teicher (3) a montré que les humiliations verbales altéraient des parties essentielles du cortex préfrontal de l’enfant et pouvaient engendrer de l’agressivité, des troubles psychiatriques, dissociatifs, de l’identité, de la personnalité (4). Dans la lignée de ces recherches, Catherine Gueguen perçoit la violence de ces enfants comme un symptôme de notre société : « La maltraitance émotionnelle est très répandue dans les domiciles mais également les lieux qui accueillent les enfants. » L’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry souligne que le stress lié à une situation de monoparentalité, de divorce, de chômage, peut induire une certaine violence.

Soin ou punition ?

Selon le rapport de l’Inserm sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, « Certains ont défendu l’importance de l’abord psychologique du phénomène, pendant que d’autres s’appuyaient sur la morale. De fait, les modes de prise en charge proposés ont toujours oscillé entre soin et punition » (5). Notre société tend à penser que tout enfant qui commet un acte violent doit être puni afin d’intégrer la notion d’interdit. Or, comme le soulignent des recherches récentes en neurosciences, les punitions tendraient à provoquer l’effet inverse. De leur côté, les psychiatres rechignent à juste titre à prescrire des traitements médicamenteux qui vont venir paralyser la pensée de l’enfant, sans évincer l’origine de leurs agissements. Résultats des courses : pas mal de ces enfants « ingérables » sont adressés aux institutions et unités spécialisées. Toutefois, ces dernières peuvent se sentir tout aussi impuissantes : « Nous recevons des enfants dangereux dont certains ont mis en échec quatorze ou quinze institutions et services de pédopsychiatrie et que plus personne ne peut héberger » témoigne Maurice, chef de service en psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint-Étienne, ex-professeur associé de psychologie à l’université Lyon 2, dans son ouvrage Voulons-nous des enfants barbares ? Prévenir et traiter la violence extrême (Dunod, 2008).

Accompagner la famille

Catherine Gueguen préconise de se focaliser sur la famille : « La résilience est toujours possible du moment que l’entourage évolue. Il faut que les adultes qui entourent l’enfant le comprennent. Il ne s’agit pas de promouvoir une éducation laxiste, mais de rester ferme et bienveillant ». Avec la Communication non violente (CNV) comme outil thérapeutique, Catherine Gueguen cherche à accompagner les parents dans l’identification de leurs propres émotions. « Quand les adultes se transforment, les enfants se transforment à leur tour. En effet, le cerveau des enfants est plus malléable, plus plastique que celui de l’adulte. ». En effet, Sarah Whittle (6) a montré que les mères qui soutenaient leur enfant adolescent augmentaient la maturation de leur fameux COF (la recherche portait sur 188 adolescents (7). «Les Anglo-Saxons et les pays nordiques se nourrissent déjà de ces travaux.. En 1979, la Suède a voté une loi contre les humiliations des enfants  ». La majorité des violences ayant lieu dans l’enceinte d’un établissement scolaire, l’Éducation nationale a elle aussi du pain sur la planche : elle déclare agir sur le climat scolaire et « prêter attention à la qualité des relations humaines dans l’établissement, à la qualité de l’organisation et des espaces de vie ». Elle prône alors une pédagogie positive, une co-éducation avec les familles, des pratiques partenariales avec l’ensemble de la communauté éducative, une qualité de vie à l’école. L’Inserm proposait en 2005 un dépistage précoce des enfants risquant de développer un trouble des conduites, initiative délicate, et dénoncée comme stigmatisante, qui a provoqué une levée de boucliers dans la communauté des professionnels de la santé  (8). •

NOTES

1. Allan Schore est médecin et chercheur au département de la psychiatrie et des sciences biocomportementales.
2. Schore, A. (2012). « Evolution, early experience and human development », Oxford University Press.
3. Martin H. Teicher est chercheur, directeur du Programme de Recherche en biopsychiatrie développementale et professeur de psychiatrie à l’École de Médecin d’Havard.
4. Teicher M. H. et al. (2010). « Hurtful words : associations of exposure to peer verbal abuse with elevated psychiatric symptom scores and corpus callosum abnormalities. » The American Journal of Psychiatry, 67 (12), p. 1464-1471.
5. Rapport disponible en ligne à cette adresse : www.inserm.fr/content/download/7154/…/troubles+des+conduites.pdf
6. Sarah Whittle est une chercheuse à L’université de Melbourne.
7. Sarah Whittle (2015). « Trait positive affect is associated with hippocampal volume and change in caudate volume across adolescence ».  Cognitive, Affective, & Behavioral Neuroscience.
8. Pour en savoir plus, voir l’interview de Richard E. Tremblay, « Dépister n’est pas réprimer », Sciences Humaines n°195, 2008.
9. Eisenberg, N. (2010). « Empathy-related responding : associations with prosocial behavior, aggression, and intergroup relations ». Social Issues and Policy Review, 4 (1), p. 143-180.
10. Taylor, C. A. et al. (2010). « Mothers’ spanking of 3-year-old children and subsequent risk of children’s agressive behavior ». Pediatrics, 125 (5), p. 1057-165.

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

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