Détecter l’autisme avant 3 ans, un enjeu de taille

Vincent_AF

Retrouvez cette enquête publiée dans la revue Le Cercle Psy  n°18.

Plus tôt on dépiste un enfant autiste, plus tôt on peut intervenir, et meilleur sera son pronostic. Tel est le leitmotiv des spécialistes de l’autisme qui traquent, avec les associations de familles, les premiers signes d’alerte chez le tout-petit.

Dépistage précoce, intervention précoce

Depuis que l’autisme a été reconnu, en 2012, grande cause nationale, ce handicap neurodéveloppemental et ses multiples enjeux sont plus que jamais sous le feu des projecteurs. Et pour cause, la Haute Autorité de santé estime qu’un enfant sur 150 naît autiste (soit 6 000 naissances chaque année).

Parmi les nombreux défis qui animent les communautés d’experts se dresse celui du dépistage précoce. En effet, « plus tôt on dépiste l’autisme d’un enfant, plus tôt on peut lui proposer une intervention intensive et adaptée à ses difficultés, et plus cela optimisera ses chances d’avoir un meilleur développement et une meilleure intégration dans notre société », souligne Julie Brisson, maître de conférences en psychologie du développement à l’université de Rouen, qui a consacré sa thèse aux signes précoces de l’autisme (1). Un point que confirme Nadia Chabane, pédopsychiatre responsable de l’unité de détection, de diagnostic et de prise en charge précoce des troubles du spectre autistique (TSA) de l’hôpital Robert Debré : « Nous agissons à un moment donné où le cerveau de l’enfant est doté d’une fonctionnalité qu’on appelle la plasticité cérébrale, c’est-à-dire qu’il est apte à se modifier en fonction de ce que lui apporte son environnement et d’adapter de nouvelles fonctionnalités » (2). Ces stimulations apportées au jeune enfant vont lui permettre de booster ses points faibles, d’améliorer sa communication, sa socialisation, sa capacité à s’insérer socialement, même si, comme le rappelle Nadia Chabane, il ne faut pas non plus s’attendre à un miracle. L’enfant demeurera autiste toute sa vie. Le potentiel de l’intervention précoce a d’ailleurs été confirmé par la recherche (3), si bien que le 3e Plan autisme (2013-2017) (4) prône également le dépistage précoce. Un autre argument de taille : celui du gain financier. Julie Brisson nous rappelle qu’un dépistage précoce entraîne une économie financière et sociale en termes d’accompagnement.

Plus de regards insaisissables dès les premiers mois

Si le dépistage précoce de l’autisme devient la priorité de nombreux professionnels de la santé et de l’enfance, c’est parce que ce trouble peut se manifester bien avant la troisième année, voire avant son troisième mois ! Selon une étude publiée en 2013 dans la prestigieuse revueNature(5), le contact visuel de ces nourrissons, marqueur fondamental des interactions sociales, tendrait à s’altérer dès le deuxième mois de vie. Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont suivi deux groupes d’une cinquantaine d’enfants, de la naissance à leurs deux ans. L’un de ces groupes, qui avait un grand frère ou une grande sœur autiste, était à haut risque de développer à son tour une forme d’autisme, contrairement à l’autre groupe d’enfants. Les auteurs de l’étude ont analysé et tracé avec précision leurs mouvements oculaires via la méthode dite d’« eye-tracking ». Verdict : les enfants qui, plus tard, se sont révélés autistes, regardaient de moins en moins dans les yeux de leurs interlocuteurs. Le regard a de plus en plus de mal à se poser, au fil du temps, même au cours des six premiers mois. Parallèlement, les enfants autistes souriraient et vocaliseraient moins que les autres enfants. Comme d’autres auteurs, Julie Brisson a décelé cette même attention visuelle labile en analysant de nombreux films personnels de familles ayant appris plus tard que leur enfant était autiste : « En laboratoire, nous avons des outils spéciaux qui nous permettent de décomposer, image par image, les comportements des enfants. », nous indique-t-elle.

Moins de comportements sociaux

Les recherches soulignent que les signes d’autisme étaient néanmoins plus facilement repérables au cours de la deuxième année : « On observe moins de regards tournés vers les personnes. Un autre signe-clé est l’absence de réponse spontanée et régulière à l’appel du prénom. C’est pour cette raison que le premier réflexe reste de vérifier la bonne audition de l’enfant ! ».

Julie Brisson a également observé que les petits autistes s’adonnaient autant aux pointages dits« proto-impératifs » que les enfants typiques, lorsque l’enfant cherche à obtenir un objet hors d’atteinte. Par exemple : « donne-moi la bouteille d’eau, j’ai encore soif ! » En revanche, ces enfants manifestaient bien moins de pointages dits « proto-déclaratifs » que les enfants typiques, lorsque l’enfant cherche à susciter le commentaire de l’adulte à propos d’un objet. Par exemple : « regarde maman comme cet avion vole haut dans le ciel ! »

De même, les enfants avec autisme ont moins tendance à partager leur intérêt autour d’un objet, comme un jouet, en venant l’apporter ou le montrer à l’adulte. Pour ce qui est du jeu, Julie Brisson souligne qu’il est souvent stéréotypé : l’enfant peut manifester un intérêt particulier pour une partie de l’objet, les roues d’un camion par exemple, au détriment du reste du jouet. Il peut également avoir tendance à empiler ou aligner des objets. De plus, les jeux sont davantage sensori-moteurs que fonctionnels. « Un enfant autiste aura, par exemple, plus tendance à mettre un camion en bouche, à le taper contre le sol, plutôt qu’à le faire rouler »souligne Julie Brisson, qui souhaite toutefois mettre en garde les professionnels et les familles :« Il faut néanmoins être prudent dans le sens où chaque enfant a sa trajectoire de développement ! D’ailleurs, tous les signes ne sont pas nécessairement visibles chez tous les enfants ».

Des médecins mal formés

Malheureusement, l’enjeu se complexifie lorsque l’on passe cette frontière ténue entre la théorie et la pratique. Dans la vraie vie, le dépistage précoce s’assimile au parcours du combattant pour les familles. Selon les résultats de l’enquête Doctissimo-FondaMental de mars 2013 (6), dans 80 % des cas, c’est la famille elle-même qui détecte les premiers signes. Le plus souvent, l’aventure débute dans le cabinet du généraliste ou du pédiatre. Les parents s’inquiètent quant au comportement de leur enfant. Selon Marion Leboyer, directrice de la Fondation FondaMental et responsable du Pôle de psychiatrie des hôpitaux universitaires Henri Mondor à Créteil, nombreux sont les parents à « se plaindre de ne pas être entendus, pris au sérieux par le corps médical (…) Cette situation occasionne un retard diagnostique majeur car les parents attendront longtemps, dans bien des cas, avant de consulter pour les troubles qu’ils avaient pourtant observés. »(7). Rappelons que les médecins, tout comme d’autres professionnels de l’enfance et de la petite enfance, sont encore peu formés au diagnostic de ce trouble. 1 médecin sur 3 ne saurait pas ce qu’est l’autisme (8) tandis que 1 sur 4 considérerait encore ce handicap comme une psychose, tandis que la Haute Autorité de santé le définit comme un trouble neurodéveloppemental (9). Lorsqu’il est correctement formé, « le généraliste ou le pédiatre fait un premier repérage et adresse l’enfant à une équipe d’un Centre médico-psychologique. Le cas échéant, les parents errent de professionnels en professionnels jusqu’à tomber sur le bon interlocuteur ! », regrette Julie Brisson.

Rôle précieux des pros de la petite enfance

Toutefois, le manque de formation n’est pas l’unique fautif de cette errance diagnostique. Une récente étude nord-américaine publiée dans la revue Pediatrics (10), souligne que la courte durée des consultations chez le médecin entrave largement leur analyse du développement des enfants accueillis. Ce laps de temps ne serait pas suffisant pour détecter les signes d’autisme, même pour des psychologues formés à la petite enfance et à l’autisme. Les auteurs de cette étude préconisent alors l’inclusion des parents et des professionnels qui entourent régulièrement l’enfant, dans cette dynamique de dépistage précoce (11).

Un point que nous confirme Julie Brisson : « Les professionnels des lieux d’accueil petite enfance, qui côtoient l’enfant sur de longues plages horaires, sont les mieux placés pour observer l’enfant et informer les parents ». Ainsi, les associations « Autistes sans Frontières » et « Autisme France » ont élaboré une brochure didactique à l’attention des professionnels de la petite enfance (12). Le M-CHAT (13) peut d’ailleurs servir de base à l’identification fiable et précoce des signes de ce trouble. Il s’agit d’un questionnaire à destination des parents portant sur les comportements quotidiens de l’enfant âgé de 16 à 30 mois. Si cet outil peut être utilisé par le clinicien en cabinet ou en structure, les réponses nécessitent d’être interprétées par une équipe formée. Enfin, n’oublions pas que certains professionnels de la petite enfance et de l’enfance continuent à s’opposer à l’idée d’un dépistage, arguant que l’identification d’un trouble revient à étiqueter et stigmatiser l’enfant.

Le diagnostic, étape ultime

L’équipe de professionnels de la crèche suspecte des signes autistiques dans le comportement du petit Nathan. L’objectif est de sensibiliser les parents au développement de leur enfant et les encourager à consulter une équipe spécialisée, sans pour autant évoquer le diagnostic d’autisme. Après le dépistage, place au diagnostic, étape ultime s’il en est. Une fois que l’entourage familial ou professionnel de l’enfant est parvenu à repérer et à prendre en considération les signes d’alerte de ce handicap, s’enclenche toute une démarche diagnostique.« Les centres ressource autisme sont des interlocuteurs à privilégier. Les associations peuvent également renseigner et orienter les familles, mais plutôt dans un second temps,explique Julie Brisson. Une équipe pluridisciplinaire, composée notamment d’un pédiatre ou pédopsychiatre, d’un psychologue, d’un orthophoniste et d’un psychomotricien, est nécessaire pour poser le diagnostic. ». Si le dépistage peut être réalisé entre 16 et 24 mois, le diagnostic peut, quant à lui, être posé à partir de 36 mois. Actuellement, il l’est en moyenne à 4 ans.

Cette étape-clé du diagnostic marque la fin d’un premier parcours chaotique et le début d’un second, lorsque les parents se confrontent à la douloureuse question de la qualité de… l’intervention (14). La (més)aventure continue.

 

Les 3 outils-clés du diagnostic

 À l’heure actuelle, même s’il n’existe aucune méthode universelle, les équipes de praticiens ont recours à trois outils validés.

– L’ADI-R (Autism Diagnostic Interview) est un entretien semi-dirigé réalisé avec les parents, qui permet de recenser les comportements symptomatiques de l’enfant au quotidien.

– L’ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule) est une échelle qui se base sur une observation clinique de l’enfant.

– L’échelle CARS (Childhood Autism Rating Scale) évalue le degré de sévérité de ce trouble.

L’autisme face aux stéréotypes

 

 Julie Dachez, doctorante en psychologie sociale, elle-même Asperger, travaille sur les discriminations à l’égard des personnes autistes adultes en France.

« La recherche dénombre assez peu d’études sur la perception de l’autisme. Généralement, la vision du grand public est assez paradoxale : soit les autistes sont pourvus d’habiletés exceptionnelles soit, au contraire, ils souffrent d’un retard mental. Dans l’esprit des gens, d’un côté, les enfants autistes passent leurs journées à hurler et à se balancer, et de l’autre, les adultes sont forcément des génies ! On oublie que les enfants autistes deviennent eux aussi des adultes ! Je pense que cette perception biaisée du diagnostic s’explique en partie par le fait qu’il existe très peu de contacts entre les autistes et les non autistes dans notre société. Dès lors, les gens se raccrochent à la fiction. Or, au cinéma comme à la télévision, les autistes sont souvent représentés de manière caricaturale ! De nombreux professionnels de la santé eux-mêmes n’y connaissent pas grand-chose. Ils estiment que toute personne qui s’exprime distinctement et qui regarde son interlocuteur dans les yeux ne peut pas être un autiste. À ce titre, le syndrome d’Asperger est peu connu et peu pensé, peut-être moins que celui de l’autisme typique. »

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

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