Supervision : quand le psy va chez le psy

Source photo : http://thehoardingproject.org/home/supervision

Retrouvez cette enquête publiée sur le site du Cercle Psy.

Pour partager ses interrogations et ses difficultés, il est vivement conseillé aux psychologues, surtout en début de carrière, 
de se faire superviser par un(e) collègue plus expérimenté(e), moyennant finances. Mais est-ce vraiment utile ?

Parce que les psychologues sont aussi humains que leurs patients, toujours exposés au risque d’un contre-transfert épineux, une supervision s’avère précieuse. Pourtant, par manque de temps, d’argent et/ou de motivation, tous ne s’y adonnent pas.

« Lorsque je parle de mon métier à des amis ou à des collègues, j’entends parfois le fantasme amusant du ‘‘super-psy’’ : celui qui est capable d’identifier les enjeux psychiques en un clin d’œil, de trouver les mots justes dans chaque conflit, de se détacher de toutes les situations, comme s’il était muni d’un bouclier. Dans la réalité, ce n’est pas le cas : certains patients me sidèrent, d’autres m’émeuvent, m’habitent ou me fatiguent plus que d’ordinaire, au point de ressurgir dans ma vie psychique à la fin de la journée », témoigne Magalie S, psychologue clinicienne, psychothérapeute et doctorante à l’UFR d’Études psychanalytiques de l’université Paris7.

Super-psy

Parce qu’accompagner des personnes en difficulté n’est pas comme gérer des stocks de marchandises, la supervision se révèle précieuse. À ce titre, elle n’est pas l’apanage des psys et s’adresse à tous les professionnels de la relation d’aide, tels que les psychologues, les psychothérapeutes, mais aussi les coachs et les assistants sociaux.

Alain Delourme, psychologue clinicien, docteur en psychologie, formateur, superviseur de praticiens et co-auteur de La Supervision en psychanalyse et en psychothérapie (Dunod, 2011), explique la raison: « Chacun a des zones de clairvoyance ou de cécité, de compétences ou d’incompétences. Le superviseur est là pour aider le thérapeute à y voir plus clair, à penser, à comprendre, et à mieux gérer la situation. » En un mot, il s’agit d’élargir la capacité du praticien à vivre émotionnellement et intellectuellement des situations complexes.

Alain Delourme distingue trois fonctions fondamentales du superviseur: celle de veilleur, de chercheur et de transmetteur. Il veille à ce que le supervisé aille bien et, surtout, qu’il exerce dans des conditions qui soient celles de sa profession. Ainsi, finies les relations sexuelles avec la patiente du mercredi soir (lire « Les relations sexuelles entre psys et patients, histoire d’une omerta », Cercle Psy n°3, déc 2011/jan-fév 2012) et les manquements au code de déontologie, véritable grimoire des psys!

« Le supervisé peut aborder en séance une situation thérapeutique qui l’interroge, tout comme il peut faire le choix de parler d’une difficulté personnelle qui survient dans le cadre de sa profession. Par exemple, si un patient sur deux l’énerve, on peut penser que la difficulté ne provient pas des patients, mais du thérapeute lui-même », souligne Alain Delourme.

La pratique peut varier. Certains superviseurs exigent que le thérapeute s’exprime sans ses notes de séances, d’autres demandent l’inverse. Certains consentent à analyser des enregistrements vidéo tandis que d’autres s’y opposent. Bref, à chaque psy son superviseur.

Qu’en est-il du supervisé ? Magalie S. témoigne: « Mon superviseur m’aide à relancer ma pensée. Il m’apprend à écouter mes intuitions, à dénouer mes conflits inconscients. Il m’autorise à ne pas savoir, à me tromper, mais aussi à m’affirmer. Je me sens beaucoup plus sereine dans mon travail désormais. J’arrive à prendre plus facilement du recul ! »

Pour toutes les bourses?

S’il s’avère confortable pour les psys plus expérimentés, le superviseur se révèle souvent incontournable pour les psychologues fraîchement diplômés, ceux dont les premiers pas dans la profession sont encore hésitants: comment se positionner face à la hiérarchie? Comment faire valoir sa pratique auprès des médecins? Quelle place dans le travail multidisciplinaire? À quel salaire peut-on prétendre? Comment aménager son temps de travail? Autant de questions concrètes qui peuvent être soulevées en supervision. « Pour moi cela a été indispensable, surtout dans les débuts de ma pratique car on idéalise beaucoup le premier poste de psychologue. La place du psychologue est à créer, à faire entendre et parfois même, à réajuster », confie Magalie S.

Le superviseur serait-il le bras droit invisible des jeunes acolytes de la profession? Dana Castro, psychologue clinicienne et directrice de l’École des psychologues praticiens de Paris, le confirme: « Une supervision peut débarrasser les jeunes diplômés d’un sentiment d’incertitude et d’un manque de confiance en eux. Beaucoup éprouvent des difficultés à se considérer comme de véritables experts. Ils ne se sentent pas légitimes et ont besoin d’être guidés. »

Mais l’accompagnement d’un superviseur représente un véritable luxe pour certaines bourses. Et pour cause –ce n’est pas un scoop –, les psychologues sont pauvres, ou du moins pas les plus fortunés des professionnels de la relation d’aide. Si les frais périphériques à leur profession peuvent grimper à une vitesse folle (thérapie personnelle, location de leur cabinet), les entrées d’argent se font, quant à elles, plus discrètes. De quoi en décourager plus d’un: « Au début de ma carrière, je gagnais 1 600 euros nets. Chaque semaine, ma supervision me coûtait 40 euros et mon analyse personnelle 60 euros. Par mois, ça équivalait à 400 euros ! C’est révoltant que le psy doive payer lui-même pour se donner les conditions d’être un bon professionnel », proteste Magalie S. C’est pourquoi Dana Castro conseille parfois à ses anciens étudiants de s’engager dans une « intervision » avec leurs collègues. Une bonne alternative qui leur permet d’échanger avec leurs homologues, et de ne pas rester seuls face à leurs interrogations.

Bouder 
la supervision?

Si les psychanalystes et les thérapeutes sont friands de supervision, les psychologues le sont moins. La raison? Elle est financière, certes. Mais pas seulement. Selon Alain Delourme, ces trois corps de métiers, si proches en apparence, n’attribuent pas la même valeur à l’exercice de la supervision.

Les psychothérapeutes et les psychanalystes sont les bons élèves en la matière. Le pourcentage de supervisés est particulièrement élevé chez ces « technocrates de l’écoute » qui ont nécessairement réalisé un travail sur eux au cours de leur formation. Alain Delourme s’interroge : « Certains psychologues estiment qu’ils n’en ont pas besoin. Ils craignent peut-être que cela ne les remette en question. Ce qui est le cas puisqu’on les interroge sur les zones de myopie. Ils redoutent sûrement aussi d’être malmenés. C’est faux ! Notre rôle n’est pas de les culpabiliser. » Magalie S. complète : « J’ai déjà eu envie d’abandonner ! Il faut une grande force de conviction pour tenir bon… »


Un point de vue que partage Mélissa (1), jeune psychologue dans les Bouches-du-Rhône: « Beaucoup de psychologues ne se font pas superviser. Peu osent l’admettre, de peur de passer pour des mauvais professionnels. Je ne me fais pas superviser et je ne m’en porte pas plus mal, et mon porte-monnaie aussi. Ce ne sont pas les 950 euros par mois que je touche qui vont m’encourager à me faire superviser. Préconiser une telle démarche est absurde face à la précarité de la profession. »

Avant de dresser le bonnet d’âne sur la tête des psychologues, posons-nous l’ultime question: la supervision est-elle impérative? « Non. Elle est facultative, même si je ne peux que la conseiller. Je ne suis pas pour émettre de telles obligations. C’est une démarche infantilisante », répond Alain Delourme.•


« J’aborde des séances qui ont été difficiles ou troublantes. »

Magalie S., psychologue clinicienne, psychothérapeute et doctorante à l’UFR d’Études psychanalytiques de l’université Paris 7

«Généralement, je rapporte le cas d’un patient. Au début je venais, 
telle une bonne étudiante, avec mon cahier de notes. Puis, j’ai été invitée à venir parler librement d’un cas qui m’anime. J’évoque l’histoire du patient, les raisons qui m’ont amenée à le rencontrer, ce que j’ai ressenti suite à cette rencontre, les échanges, mes interrogations, ce que je peux faire comme hypothèse de travail. Souvent, j’aborde des séances qui ont été difficiles ou troublantes, mais pas systématiquement. Nous suivons souvent le même patient pendant plusieurs semaines, parfois concentrés exclusivement sur son cas, parfois nous autorisant des détours avec d’autres patients qui me semblent entrer en résonance avec le cas présenté. Le superviseur suit la manière dont se construit 
la thérapie de mon patient. Il intervient pour me souligner un point qui l’interpelle, me demander de creuser tel ou tel aspect, me questionne sur mes hésitations, m’invite à en dire plus, me soutient dans mon travail d’élaboration. Les séances se structurent autour d’une discussion, parfois d’un débat car il arrive que nous ayons tous les deux un avis différent. D’autres fois, c’est une question qui m’anime, tels que l’accompagnement de la fin de vie, la gestion des séances ratées, l’attitude à adopter lorsqu’on reçoit des cadeaux des patients, etc. Je peux alors aborder plusieurs cas et tenter, toujours à travers la clinique, d’y répondre.»


En groupe ou en solo ?

Que ceux qui ne sont pas nécessairement à l’aise (intellectuellement ou financièrement) avec la supervision en solo se réjouissent: ils peuvent tout aussi bien s’engager dans la supervision de groupe. C’est bien connu, plus on est de psys, plus on rit! Comme Alain Delourme le confirme, la supervision individuelle bénéficie d’un fort potentiel, au sens où le superviseur se focalise exclusivement sur le thérapeute. Une certaine complicité se tisse alors entre les deux protagonistes. Toutefois, la supervision de groupe s’avère aussi pertinente, notamment pour les groupes à effectif réduit, entre 4 et 8personnes. « On y trouve une ambiance productive, une synergie qui impulse une grande solidarité entre les thérapeutes. Il est important de respecter une continuité tout au long de l’année et d’éviter les effets d’entrée et de sortie qui altèrent la dynamique du groupe. Ainsi, je demande toujours à ce que chacun s’engage pour au moins une saison, de septembre à juin », indique Alain Delourme. Magalie S. témoigne: « Auparavant, je participais à une supervision d’équipe animée par une psychologue extérieure à la structure. Ces séances étaient les bienvenues lors d’événements particuliers, comme le décès d’un patient par exemple. C’était un espace dans lequel les professionnels déposaient leur ‘‘trop-plein’’. Je regrette de ne pas pouvoir en bénéficier dans mon établissement actuel. »


Où trouver un superviseur ?
À quel prix ?

Pour tout psy qui souhaite se lancer dans l’aventure de la supervision, une question d’envergure s’impose: où trouver un superviseur ? Alain Delourme répond: « Les superviseurs se trouvent dans des écoles de formation, les instituts, les associations, les fédérations, telle que la FF2P [Ndlr : Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse]. Et bien entendu, le bouche-à-oreille ». Magalie S., quant à elle, a demandé à une enseignante qu’elle appréciait de la conseiller. S’ensuit la question épineuse du prix, qui varie selon les superviseurs. « Pour ma part, je prends 100 euros pour une séance d’une heure, un tarif moyen pour la profession. Dans le cadre d’une supervision de groupe de 4 heures, je demande 100 euros par participant, et pour une journée de 6 heures, 150 euros. Bien sûr, un superviseur est plus cher qu’un thérapeute car il est, par définition, plus expérimenté. » Magalie S. partage son expérience: « Mon superviseur a adapté ses tarifs à mon budget, soit 40 euros la séance de 30 minutes. Mon précédent superviseur me proposait la séance d’une heure à 60 euros. »La fréquence des séances est elle aussi variable, même si elles sont tout de même plus espacées qu’une thérapie personnelle, toutes les deux à trois semaines en moyenne. La supervision se poursuit-elle ad vitam aeternam ou finit-elle par s’achever avant qu’apparaissent les premiers cheveux gris du jeune diplômé? « On arrête une supervision lorsque le thérapeute a suffisamment intégré les connaissances et l’expérience du superviseur, précise Alain Delourme. Puis, soit on change de superviseur et donc de façon de penser les situations cliniques, soit on fait une pause en attendant d’avoir à nouveau besoin d’être aidé par un aîné. » Fin de l’histoire.

« Une formation à géométrie variable… »

Nathalie Deffontaines, secrétaire générale de la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse (FF2P), psychothérapeute, enseignante et superviseur en analyse transactionnelle.

«À l’heure actuelle, la FF2P ne propose pas de protocole fixe, ni de certification pour la formation des superviseurs. C’est un projet d’envergure qui nous préoccupe tout particulièrement, et que nous pensons mettre en place à moyen terme. Pour l’instant, chaque école propose son propre système de validation. Certaines méthodes font valoir la compétence de superviseur sur des critères d’ancienneté professionnelle. D’autres, plus structurées (de type Gestalt, analyse transactionnelle, analyse psycho-organique), proposent de réels processus de certification, dans lesquels les psychothérapeutes se forment en participant à des groupes de formation et d’entraînement à l’issue desquels ils pourront présenter une certification dans leur méthode.»


Pour aller plus loin…

Alain Delourme et Edmond Marc, La Supervision en psychanalyse et en psychothérapie, Dunod, 2011 (2nde édition).

Dana Castro et Marie Santiago-Delefosse, « Outils identitaires du psychologue : la supervision », Le Journal des psychologues 7/2009 (n° 270), p. 24.

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

10 commentaires sur « Supervision : quand le psy va chez le psy »

  1. Une intervision est également un bon moyen de pouvoir partager ces expériences avec d’autres psychologues. Cela ne coûte rien à part du temps, un espace et peut être quelques boissons et de quoi manger ^^

  2. que pense le supervisé du fait que son histoire dont il aura souhaiter parler a un thérapeute et pas une autre soit disserté par une autre personne ?

  3. Je cherche un une superviseur sur le bassin d’arcachon.
    Pouvez-vous m’indiquer quelqu’un ?
    Je vous remercie

    Bien à vous

    1. Bonjour, je n’ai aucun nom en tête. Si vous êtes vous-même psychologue, je vous conseille de rejoindre notre communauté facebook des « psychologues de Bordeaux ». Vous pourrez leur poser la question du superviseur. Belle journée, Héloïse

  4. Bonjour,
    Je suis psychologue en crèche depuis peu et je suis à la recherche d’un/e superviseur sur Paris. Sauriez-vous m’indiquer quelqu’un ?
    Bonne journée

    1. Bonjour,
      Non, je regrette, je n’ai personne à vous conseiller. Le mieux est d’interroger l’une des communautés de psychologues que vous trouverez sur les réseaux sociaux (Facebook entre autres). Celles-ci pourront vous renseigner bien mieux que moi !
      Chaleureusement,
      Héloïse

  5. Bonjour je suis psychologue psychotérapeute dans la Somme et je cherche un superviseur dans le 80. Auriez vous une personne à me recommander?
    Vous remerciant par avance
    Cordialement
    Carole VIGNERON

  6. En tant que superviseuse, je trouve très discutable le texte cité d’A. Delourme. Il alerte certes sur le danger de se servir de l’autre, mais l’auteur semble ici dans une position haute de gardien de la loi déontologique, coupé de sa part accueillante et bienveillante (qui relève de l’éthique), et nous sert la menace d’une loi qui sanctionne mais qui n’aide pas.
    Le superviseur est-il un flic ? un être à la parole tout-puissante ? Rien de tout cela, il est un aidant qui aide l’autre à aider. Il doit trouver pour cela la juste posture de l’accompagnant qui soutient et qui permet à la fois, afin d’ouvrir le supervisé à mieux se reconnaître dans ses ombres et ses lumières. Sans perdre de vue l’intérêt du client de son client, naturellement.

Répondre à hghggAnnuler la réponse.

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