Comment décrypter ses pleurs ?

Source photo : http://www.babyboom.be/

Retrouvez cet article publié dans le magazine parental Infobébés / Infocrèche de novembre 2014.

Les pleurs ont beau ponctuer votre quotidien et rythmer le développement de votre enfant, leur origine n’est pas toujours bien comprise. Les idées reçues continuent de sévir. Et si on apprenait à les décrypter ?

Imaginez la scène : nous sommes un dimanche à l’incontournable déjeuner de famille. Tout votre arbre généalogique est assis autour d’une table ronde, se délectant de votre cuisine, et gloussant des bonnes blagues de tonton Franck. Soudainement votre petite Chloé, cadette de l’assemblée du haut de ses 8 mois, se met à pleurer. Inconsolable. Elle qui a pourtant bien mangé, bien dormi, et qui ne souffre d’aucune douleur, envahit l’espace sonore de ses sanglots… Chacun de vos convives y va de son idée de génie : « Oh non, elle ne va pas encore nous faire une scène ! Elle est où la tétine ? » lance tata Marianne, « Quelle comédienne, ne cède surtout pas à ses caprices, ne la prends pas dans les bras, ou tu ne vas pas réussir à t’en dépêtrer ! » tente cousin Bernard, « Tss, c’est bien le résultat d’une éducation douteuse, il est temps de lui mettre des limites à ta fille… » marmonne belle-maman Joséphine, « Laisse-la pleurer dans son coin, elle finira bien par se calmer, la petite ! » certifie mamie Fernande… Vous voilà toutes les deux, votre fille et vous-même, cibles d’une ribambelle de réactions culpabilisantes, moralisatrices et surtout peu fondées, dignes d’un manuel de puériculture des années 30, à l’époque où l’on méconnaissait les bébés. Ces dix dernières années, les neuroscientifiques ont fait d’importantes révélations sur le développement du cerveau de l’enfant. Que diriez-vous d’une petite mise à jour 2.0 ?

Les pleurs ne sont pas des caprices !

En matière de pleurs, les idées reçues continuent de sévir au 21ème siècle, comme si nous étions tous restés hermétiques à l’avancée de la recherche scientifique. Le plus cocasse est que tous les milieux colportent ce type de conceptions erronées : de la famille, toutes générations confondues, aux professionnels de la petite enfance eux-mêmes, en passant par les médias… Il est temps de remettre les pendules à l’heure : non, un enfant qui pleure ne fait pas de caprice, il ne joue pas la comédie, il n’est pas non plus coquin, ni un manipulateur. Un enfant pleure toujours pour une raison, même si celle-ci est méconnue ou mésestimée par l’adulte.  D’un point de vue de son développement, un jeune enfant n’est juste pas en capacité de mener une telle action réfléchie ou raisonnée. Pleurer sur commande lui demanderait des compétences hors-normes dont il n’est pas pourvu. Pour la petite explication, ses pleurs sont initiés par des parties autonomes de son cerveau qu’il n’est pas en mesure de contrôler.

Par ailleurs, non, un enfant ne va pas « s’habituer aux bras » ! Bien au contraire, les études en psychologie du développement montrent que plus nous répondons rapidement et convenablement aux pleurs et aux cris d’un bébé, plus il sera confiant et autonome vers l’âge d’un an. Les pleurs sont assez mal perçus, donc. Il est certain que nombre de parents et de professionnels ont des difficultés à accepter qu’un enfant pleure. Et pour cause, ces pleurs entraînent, dans votre corps et dans votre tête, une myriade d’émotions et de sensations physiques désagréables : de la tension, du stress, de la frustration, un sentiment d’oppression, parfois même une accélération de votre rythme cardiaque, des frissons, voire une envie de pleurer.

Des signaux d’alerte millénaires

Pour vous remonter le moral, dites-vous que ces pleurs ont une réelle utilité ! Tout d’abord, ils permettent de libérer l’organisme de l’enfant de certaines toxines, comme le fait de transpirer ou d’uriner. Comme pour l’adulte, le bébé peut avoir besoin de pleurer pour se détendre, pour passer d’un état de stress à un état de bien-être. Mais ce n’est pas tout. Les pleurs seraient apparus il y a des millions d’années depuis que l’Homme est bipédique, c’est-à-dire depuis qu’il se déplace sur des deux jambes. Dès lors, le bébé est devenu ultra dépendant de l’adulte pour survivre dans notre monde, pour manger, pour boire, pour se déplacer, mais également pour être câliné et se sentir sécurisé, apaisé. Eh oui, contrairement aux bébés girafes qui parviennent à se déplacer quelques minutes seulement après leur naissance, les bébés humains, eux, mettent quelques mois, et n’ont donc pas le loisir de se maintenir à proximité de leurs parents ! Ainsi, pour que leurs besoins soient assouvis et que leur survie soit assurée, ils émettent des signaux d’alerte – les pleurs et les cris – pour attirer l’attention de leurs parents et créer une proximité.

Depuis des millénaires, ces pleurs augmentent donc les chances de survie d’un enfant, lui permettant de ne pas être oublié par les adultes. « Je travaille à mon domicile, et profite des quelques siestes de mon loulou pour organiser des rendez-vous téléphoniques avec mes collaborateurs. Je suis parfois tellement aspirée par mon travail que j’en viens à oublier sa présence, jusqu’à ce qu’elle se mette à pleurer ! Dès lors, d’un seul coup, je retrouve ma casquette de maman… » témoigne Sophie, maman de Margaux, 9 mois. Si ces signaux d’alerte sont d’une nature si aversive, ce serait justement pour encourager les adultes environnants à y répondre plus rapidement. Eh oui, si votre bébé chantonnait doucement un air de Madonna dès qu’il avait un besoin vital à assouvir, ses parents seraient peut-être moins réactifs… ! D’autant plus que, rendons-nous à l’évidence, un bébé a peu d’autres moyens d’expression orale que les pleurs et les cris, pour manifester ses besoins. C’est pourquoi depuis la nuit des temps, face à un enfant qui pleure, la réaction inconditionnelle de l’adulte consiste à le prendre dans les bras et à répondre à son besoin. Tout simplement.

La sécurité affective, un besoin comme un autre

Les besoins, certes, mais quels besoins ? Parmi ceux que peut manifester un tout-petit par les pleurs, nous retrouvons bien entendu les besoins physiologiques, à savoir la faim, la soif, le besoin d’être changé, d’être soigné, d’être soulagé d’une douleur corporelle, aux dents, au ventre, à la tête. Oui, mais pas que. Un très jeune enfant peut également manifester un besoin d’ordre affectif, moins connu des parents, notamment lorsqu’il se sent en insécurité, lorsqu’il est stressé, nerveux, fatigué. Il n’a pas « envie » que l’adulte le prenne dans ses bras, comme on l’entend souvent, il en a « besoin ». C’est très différent. Prenons un exemple : vous êtes assise aux côtés de votre petit Mathéo qui est allongé sur un tapis d’éveil, manipulant tranquillement un jouet. Le téléphone sonne, vous vous levez subitement. Mathéo se met à lâcher son jouet et à pleurer, cherchant votre regard, la mimique contrariée… Cette scène vous est sans doute très familière. Pour autant, sauriez-vous décrypter la réaction de votre enfant ? Votre mise à distance soudaine a sans doute engendré en lui un sentiment d’insécurité, un état de stress.

Dès lors, il est en état d’alerte. Cet état va activer ce que l’on appelle son « système d’attachement », c’est-à-dire qu’il va spontanément pleurer pour retrouver la proximité avec l’adulte dont il a besoin pour s’apaiser. Dès le moment où vous reviendrez à son niveau et le prendrez dans les bras, vous observerez qu’il y a de grandes chances que ses pleurs s’interrompent immédiatement. Décryptage ? Il est soudainement envahi d’un sentiment de sécurité, apaisé. Son système d’attachement se désactive immédiatement, il arrête de pleurer. Eh oui, vos bras sont de précieux calmants ! D’autant plus que ce contact physique permet chez votre enfant la stimulation de la libération par son petit cerveau de l’ocytocine, une hormone –clé qui privilégie un sentiment de bien-être et diminue l’état de stress. Au-delà de prendre votre enfant dans les bras lorsqu’il pleure, quelle attitude adopter ?

Comment répondre à ses pleurs ?

Dans la boîte à outils anti-pleurs du jeune parent, nous retrouvons quelques incontournables : le doudou, la tétine, la petite chanson, le livre, la bonne grimace qui marche à tous les coups. Autant de subterfuges qui permettent de détourner son attention, de libérer des endorphines dans le cas de l’activité de succion engendrée par la tétine, et de lui redonner le sourire. Du moins, pour un petit moment. Si ceux-ci s’avèrent particulièrement efficaces, ils sont à employer avec parcimonie, douceur et respect du rythme de votre enfant. Il n’est par exemple pas question d’user systématiquement de la tétine comme un bouchon, stoppant mécaniquement ses sanglots. Mieux vaut accompagner ses pleurs, plutôt que les réprimer à tout prix. Votre petit Hugo se met à pleurer ? Vérifiez que ces besoins physiologiques aient tous étaient assouvis et qu’il ne souffre d’aucune douleur. Puis, prenez-le dans vos bras de manière inconditionnelle et consolez-le. Attention, consoler un enfant ne consiste pas à interrompre ses pleurs coûte que coûte, mais à lui accorder de l’attention, et lui offrir une attitude empathique, douce, à l’écoute. Respectez son rythme. Pour favoriser son sentiment de sécurité quand il est loin de vous, n’hésitez pas à lui accorder régulièrement une attention visuelle, par des regards bienveillants, ainsi qu’une attention verbale, par des paroles délicates et sereines. Comme si, malgré la distance, vous mainteniez un lien invisible, vous assurant que son réservoir d’amour et d’attention est toujours plein.

Même si la mission est de taille, le jeu en vaut la chandelle, tant les bienfaits sur le développement du cerveau intellectuel émotionnel de votre enfant sont multiples. Et puis, dites que vous regretterez sans doute ces moments de grande proximité lorsque, dans 15 ans, votre petite fille devenue ado ira pleurer sur l’épaule de sa copine plutôt que dans les bras de sa maman… !

Pour aller plus loin…

« Pour une enfance heureuse » de Catherine Gueguen (Robert Laffont, 2014)

« L’attachement, un lien vital » de Nicole Guedeney (Fabert, 2013).

« Les pleurs de la petite enfance, une question d’attachement ? Eclairages théoriques » d’Eric Binet (Elsevier Masson, 2014)


Les parents, comme les pros, se sentent impuissants

« Un enfant qui continue de pleurer alors que l’ensemble de ses besoins ont été satisfaits, place le parent, comme le professionnel de crèche, dans une position d’impuissance, d’inconfort. Cela lui renvoie une image de « mauvaise mère » ou de « mauvaise professionnelle ». C’est d’ailleurs parce que ces pleurs peuvent avoir un caractère énigmatique que certains professionnels ont tant de difficultés à travailler avec les bébés »

Gwenaëlle Sion, éducatrice de jeunes enfants et directrice adjointe d’une crèche collective sur la région parisienne.

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

4 commentaires sur « Comment décrypter ses pleurs ? »

  1. Merci pour cet article, il peut être utile aux pros de la petute enfance pour accompagner les parents. Vos mots sont accessibles, justes et surtout non culpabilisants. Je suis moi-même éducatrice de jeunes enfants en crèche. Est-Il possible de le diffuser ? Bien sûr en ne manquant pas d’indiquer les références.

  2. Bonjour Héloïse, je suis élève Auxiliaire de Puériculture mon module 5 ( relation de communication) est basé sur les pleurs d’un enfant de 9 mois.
    merci pour vos écris qui m’ont énormément aidés.

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