Alors, heureux ?

Source photo : http://souriresnomades.frRetrouvez cet article publié dans la revue Sciences Humaines de mai 2014.

Il y a une cinquantaine d’années, la question du bien-être de l’enfant était absente du débat. Signe des temps, elle devient aujourd’hui incontournable, tant chez les professionnels que chez les parents. Moult colloques, recherches et ouvrages de vulgarisation s’emparent de cette discussion.

Jamais la question du bien-être individuel ne s’est autant (im)posée. Le bien-être des adultes, certes, mais aussi celui de nos bambins. Car depuis l’avènement de la pédiatrie, de la psychanalyse et de quelques travaux clés de la fin du 19ème siècle, les enfants, autrefois considérés comme de simples tubes digestifs et adultes en devenir, sont promus au rang d’individus à part entière. Des « personnes » dont il faut respecter la singularité, les désirs et les besoins. Si le règne doltoïste de l’enfant-roi semble en cours de déclin, la question de l’épanouissement de ces épicuriens en herbe est, quant à elle, au devant de la scène. Depuis une vingtaine d’année, et depuis ces cinq dernières années de manière plus approfondie, chercheurs et spécialistes s’attèlent à la question de leur bien-être.

  • Mesurer le bien-être des enfants : un défi de taille

Mais comment le mesurer ? Sur quel critère objectif se baser ? « En général, c’est l’humeur. L’enfant est dans un état de bien-être lorsque son humeur est égale, stable, qu’elle se situe du côté de la gaieté et du dynamisme » nous répond Aldo Naouri, pédiatre, psychanalyste et auteur de « L’enfant bien portant »[i]. Didier Pleux, docteur en psychologie du développement, psychologue clinicien et auteur de « Un enfant heureux »[ii] et « Françoise Dolto. La déraison pure »[iii] nous précise qu’un « enfant est heureux quand il est heureux d’être enfant, c’est-à-dire quand il se satisfait de son statut d’enfant, qu’il en accepte les règles et les contraintes » Depuis quelques dizaines d’années, les spécialistes qui souhaitent évaluer le bien-être de ces hédonistes hauts comme trois pommes se focalisent alors sur des critères observables : l’enfant manifeste-t-il spontanément de la satisfaction ? Exprime-t-il des émotions positives ? S’engage-t-il de lui-même dans des activités ? Des consortiums de chercheurs ont développé des indices à l’échelle nationale et internationale sur la base de données empiriques[iv]. En Angleterre, le Child Well-Being Index (CWI) s’axe sur le bien-être matériel des enfants, leur santé, leur éducation, la délinquance, la qualité de leur logement et de leur environnement. Aux Etats-Unis, l’indice Child and Youth Well-Being se base sur sept domaines distincts, dont le bien-être économique de la famille, la présence de conduites à risque, la possibilité de tisser des relations sociales, le bien-être émotif et spirituel, les compétences scolaires, le degré d’engagement de la communauté, la santé.

 

  • Non à la consommation, oui à la frustration !

Toutefois, contrairement aux idées reçues, l’enfant le plus riche, le meilleur élève, et le plus gâté, archétype de « l’enfant idéal » du 21ème siècle, n’est pas le plus heureux. Selon Alain Sotto, psychopédagogue, président de l’Association de Recherches en Neuropédagogie (ARN) et auteur de « Que se passe-t-il dans la tête de votre enfant ? » (Ixelles Editions, 2011), la position de cancre comme celle de l’élève brillant sont toutes deux exposées à la pression des parents, des enseignants et des autres élèves, réel frein au bien-être. L’enfant le plus épanoui serait l’élève « moyen » qui profiterait de l’école pour nourrir sa curiosité tout en conservant une position discrète vis-à-vis de son entourage[v]. Des chercheurs se sont quant à eux focalisés sur le lien entre l’épanouissement et la tendance à la consommation, chez l’enfant. Selon une étude menée par l’Université D’Amsterdam en 2012, plus un enfant est malheureux, plus il sera sensible aux publicités télévisuelles, plus il risque de croire que posséder les produits est source de d’épanouissement et de réussite[vi]. En effet, comme le spécifie Suzanne Opree, directrice de l’étude, la publicité enseigne aux enfants que l’épanouissement s’acquière notamment par la possession, un état d’esprit auquel s’accrochent les enfants les moins satisfaits de leur vie. Une mentalité qui n’est pas prêt de s’affaiblir : chaque année, les petits anglais s’exposent à une moyenne de 10 000 publicités sur le petit écran, contre 40 000 pour les petits américains, soit environ 109 par jour. « En ce 21ème siècle, l’enfant fait l’objet d’une surstimulation, d’une surconsommation, d’une surcommunication, d’une surprotection. On en fait trop. Non, l’éducation permissive ne rend pas heureux ! A force de vouloir le préserver, on l’affaiblit » s’insurge Didier Pleux. Un point qu’Aldo Naouri confirme : « cet accent mis sur l’enfant a impulsé ce que j’appelle « l’infantolâtrie ». Ce qui est nuisible car, du moment que l’on idolâtre un enfant, on cherche à le satisfaire, à le combler. On tue alors son précieux désir » Les spécialistes sont alors unanimes : la frustration demeure la pierre angulaire de l’épanouissement d’un enfant. Rendre un enfant heureux, c’est avant tout lui apprendre à différer la satisfaction, à (re)découvrir le goût de l’effort et à vivre en adéquation avec le principe de réalité. Pour le meilleur comme pour le pire.

Les petits Français, moins heureux que les Slovènes

En 2009, sur la base de 26 indicateurs, dont le niveau de vie, l’éducation, la santé et la protection contre les risques, le centre de recherche Innocenti du Fond des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) publie une comparaison du bien-être des enfants dans les différents pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques)*. Verdict ? La France écope de la 13ème place dernière la Slovénie, les Etats-Unis la 26ème place, et la Roumanie la 29ème et dernière place. L’UNICEF déplore le fait que les politiques d’austérité des pays riches pénalisent les enfants. Les contrées nordiques, tels que les Pays-Bas, la Norvège, l’Islande, la Finlande et la Suède, se hissent quant à elles en haut du palmarès

* Suzanna J. Opree, Moniek Buijzen, Patti M. Valkenburg (2012). Lower life satisfaction related to materialism in children frequently exposed to advertising. Pediatric

[1] Odile Jacob, 2010

[2] Odile Jacob, 2010

[3] Autrement, 2013

[4] « Bien-être des jeunes enfants dans l’accueil et l’éducation en France et ailleurs », Actes du colloque des 10 et 11 octobre 2011, Drees – CAS, Coll. Études et statistiques, 2013, 182 p. ISBN : 978-2-11-129990-0

[5] « Les bons élèves sont-ils des enfants heureux ? » publié en 2012 sur le site de la Croix. http://www.la-croix.com/Famille/Education/Les-bons-eleves-sont-ils-des-enfants-heureux-_NP_-2012-10-23-877537

[6] Suzanna J. Opree, Moniek Buijzen, Patti M. Valkenburg (2012). Lower life satisfaction related to materialism in children frequently exposed to advertising. Pediatric

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

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