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Le déni de grossesse reste un phénomène mal compris. Les multiples questionnements sur son origine et sa prise en charge mobilisent, en partenariat, les acteurs de la médecine du corps, tels que les gynéco-obstétriciens, les sages-femmes et les médecins traitants, et ceux de la psyché, comme les psychiatres et psychologues.
Le déni de grossesse se définit par la non-reconnaissance de la grossesse par la femme enceinte au-delà du premier trimestre de grossesse. Il est dit « partiel » lorsque la femme prend conscience de sa grossesse avant l’accouchement, et « total » lorsque la découverte de la grossesse s’opère le jour J, au cours de la mise en travail.
Il n’est pourtant pas un phénomène si rare, puisqu’il concernerait 2 à 3 femmes sur 1000, avec une prépondérance de dénis « partiels ». Il n’est pas non plus sans risque pour la femme et son bébé : il peut occasionner des complications périnatales, des accouchements sous X, des néonaticides.
75 dénis au peigne fin
Désireuse de percer le mystère de ces grossesses hors-norme, une équipe de professionnels du Centre Hospitalier Universitaire d’Angers s’est penchée sur le cas de ces femmes (1). L’objectif de l’étude ? Dessiner les contours de leur profil médical, social et professionnel, pour améliorer le repérage et la prévention de ces dénis.
Pour ce faire, l’équipe a épluché l’intégralité des dossiers de dénis de grossesse survenus à la maternité du CHU d’Angers entre 2005 et 2009, en l’occurrence 75 dossiers répertoriés, dont 69 dénis partiels et 6 totaux. Les femmes de cette étude sont âgées de 16 à 44 ans, avec une moyenne d’âge de 27 ans. Le pourcentage de moins de 18 ans et de plus de 40 ans est plus important pour ces femmes ayant dénié leur grossesse que pour les autres femmes ayant accouché à la maternité à cette même période.
Selon les résultats, 40 % d’entre elles souffrent d’une situation sociale précaire : près de la moitié est sans profession, 17 % sont étudiantes, et 35 % exercent une activité professionnelle.
« Une grande proportion de femmes de notre étude n’avaient pas de suivi gynécologique régulier », pointent les auteurs. Ces femmes ont en majorité déjà connu une grossesse, et ne sont pas obèses. Seules 20 % d’entre elles présentent, ou ont déjà présenté, un trouble psychiatrique, à savoir des addictions, des troubles du comportement alimentaire, un épisode dépressif… Les auteurs en concluent que le déni de grossesse peut tout aussi bien toucher une femme souffrant d’une maladie mentale qu’une femme tout-venant.
Un autre point est souligné : seul un quart d’entre elles a bénéficié d’un entretien avec un psychiatre ou un psychologue ; et quand bien même elles en ont rencontré un, « la demande de consultation était rarement motivée par le déni de grossesse lui-même ».
Un dernier aspect inattendu émerge des résultats : le nombre de dénis de grossesse a pratiquement doublé entre 2005 et 2009. Selon les auteurs, deux facteurs pourraient l’expliquer : l’ouverture d’une Unité médico-psycho-sociale en périnatalité, d’une part, qui accueille des femmes enceintes vulnérables, et qui aurait donc pu accroître le repérage d’éventuels dénis de grossesses. Et, d’autre part, l’affaire des bébés congelés qui, en 2006, a fortement médiatisé ce phénomène.
(1) Sophie Chaulet, Anne-Sophie Juan-Chocard, Stéphanie Vasseur, Jean-François Hamel, Philippe Duverger, Philippe Descamps, Serge Fanello, « Le déni de grossesse : étude réalisée sur 75 dossiers de découverte tardive de grossesse », Annales Médico-Psychologiques, vol. 171, 2013.