Retrouvez cet article publié dans le Hors-Série du Cercle Psy « Qui sont (vraiment) les psychologues ?
La tendance étant à la psychologisation de nos moindres comportements, jamais les psys n’ont été aussi présents. Certains quittent même l’intimité de leur cabinet pour l’exposition des médias… Qu’en pensent leurs confrères ?
Que vous viviez au pied d’une montagne des Pyrénées ou au cœur de la capitale, cela ne vous aura pas échappé : les psys sont omniprésents. De l’ombre de leur cabinet à la lumière des médias, de la spéculation théorique à la vulgarisation de masse, de l’intimité individuelle au malaise social, le psy a le vent en poupe. Il élargit ses champs d’expertise, et adresse aujourd’hui ses connaissances au plus grand nombre. Cette course folle à la psychologisation grand public s’est amorcée il y a une trentaine d’années, lorsque la respectable Françoise Dolto s’est attelée aux chroniques de l’émission Quand l’enfant paraît, diffusée sur France Inter. Aujourd’hui, la présence des psys dans les médias est monnaie courante, et les magazines télévisés basés sur l’exposition de témoignages personnels, qu’un psy est invité à décortiquer méticuleusement, pleuvent : Vie privée, vie publique, Ça se discute, Jour après jour…
Certains psys, acolytes du petit écran, nous sont désormais familiers : Serge Hefez, Serge Tisseron, Stéphane Clerget, Marcel Rufo… La presse écrite n’est pas en reste avec ses revues féminines dont la quasi-totalité comporte une rubrique « psycho ». L’omniprésence des psys sur la scène médiatique s’accompagne d’un recours plus fréquent à ces spécialistes dans la « vraie » vie : « Les psys sont partout ! Consultés à titre préventif, curatif et, en tout cas, extensif. À la RATP pour épauler les conducteurs, chez Peugeot pour penser la voiture de nos rêves, aux côtés des sportifs (…) La psy a conquis le monopole de nos âmes. Désormais, culpabilité ou non, au moindre bobo, on fonce tous, ou presque, s’allonger sur le lit de la confession et de rédemption : le divan », ironisaient déjà les journalistes Delphine Saubaber et Natacha Czerwinski en 2005 (1).
Dominique Mehl, sociologue, directrice de recherche CNRS au laboratoire Communication et Politique, distingue deux types de psys sur la scène médiatique : le nouveau moraliste qui prodigue des conseils normatifs, et le « panseur/penseur » qui livre des pistes de réflexion sur les maux sociétaux. Et les psys eux-mêmes s’étonnent d’être tant sollicités : « Là où il faudrait simplement des réponses pratiques et sociales, on psychologise. Un exemple ? On m’envoie en consultation beaucoup de conducteurs de bus agressés. Au médecin du personnel, j’ai dit que la première chose à faire, c’était de leur poser une glace blindée », s’amuse le psychiatre et psychothérapeute Jean Cottraux, dans son ouvrage Les visiteurs du soi. À quoi servent les psys ? (2).
Le mal du siècle ?
Ce recours au tout psy serait-il la résultante d’une société narcissique, excessivement axée sur la réussite personnelle et professionnelle et les performances individuelles ? C’est l’opinion de Vincent de Gaulejac, professeur de sociologie à l’université Paris VII, directeur du laboratoire de changement social et membre fondateur de l’Institut international de sociologie clinique : « Avec le développement du capitalisme financier, le Moi de chaque individu est devenu un capital qu’il faut faire fructifier. On est rentré dans l’idéologie de la réalisation de soi-même, déclare-t-il dans un entretien publié dans la revue Gestalt (3). Il y a une tension qui se crée entre les exigences de la société et les difficultés de chaque individu à répondre à ces exigences. » Et nous confierions aux psys la lourde tâche de nous aider à répondre à ces exigences.
Autre interprétation : cette tendance à la spéculation psychologisante serait-elle le mal du siècle, une obsession qui nous permettrait de donner un sens à notre vie trop édulcorée ? « Il y a deux choses que les hommes n’aiment pas : la liberté et le bonheur. Il est plus facile de se définir par rapport à son malheur, qui nous sert de carte d’identité, que par rapport à l’inconnu », analyse avec humour François Roustang, philosophe, hypnothérapeute et psychanalyste, dans son ouvrage La fin de la plainte (4).
Comme disait Salvador Dali, « le coup de pied au cul, c’est la psychanalyse du pauvre ». Et si l’actuelle « culture psy » venait tout simplement suppléer le prêtre de nos campagnes, bras droit de notre psyché, autrefois sollicité pour sa qualité d’écoute et ses conseils avisés ?
Haro sur la psy « pop »
Si le grand public en est friand, la psy « populaire » n’est pas du goût de tous, et encore moins des psys. « Cette surexposition s’accompagne d’un discours de vulgarisation. Et la vulgate psy n’est pas toujours de qualité ; il est de plus en plus fréquent d’entendre des contrevérités voire des aberrations scientifiques », se désole Patrick Cohen, psychologue et directeur du Centre régional d’interventions psychologiques (CRIP-Marseille) dans l’ouvrage collectif La psychologie clinique et la profession de psychologue. (Dé)qualification et (dé)formation ? (5). La psy « pop » peut ainsi provoquer des réactions d’hostilité de la part de la corporation. Le très médiatique pédopsychiatre Marcel Rufo illustre bien le phénomène. Le 3 décembre 2012, sur France 5, il répondait ainsi à une auditrice cherchant des conseils pour sa fille qui déclarait avoir été abusée durant son enfance : « L’immense majorité des enfants abusés vont bien ! » Après quoi il conseilla à l’auditrice de demander au violeur désigné si tout cela est vrai, avant de croire « les fantasmes » de sa fille. Ce fut la réplique de trop. Au point qu’une pétition « Stop à la désinformation sur les violences sexuelles faites aux enfants ! » fut lancée par le Centre de recherches internationales et de formation sur l’inceste et la pédocriminalité (Crifip) : « Nous sommes révolté-es d’entendre des paroles niant la souffrance des victimes, niant la vérité de la fréquence des violences sexuelles, niant la réalité des séquelles (…) Nous appelons France 5 à prendre ses responsabilités face à ces déclarations et exigeons un droit de réponse et des excuses de la chaîne et du Dr Rufo auprès de toutes les personnes qu’il a blessées cruellement ».
En avril 2013, Erwan Desplanques, journaliste et romancier, lui adresse une critique assassine dans la revue Télérama : « La répétition de ses diagnostics calibrés pour le spectacle – sur France 3, France 5, Europe 1 et France Inter – peut provoquer certains effets indésirables. Rufo élucubre en roue libre et tranche trop vite (…) Pourquoi avoir accepté l’exercice d’une chronique radio quotidienne ? Les psys disent souvent qu’il faut apprendre à dire non. »
Finalement, la psychologie de masse, à dominante psychanalytique donc, ne viserait-elle qu’à séduire les foules, non spécialistes de la psychologie ? Vulgariser, simplifier, pour toucher le plus grand nombre ? « Prenons garde, nous sommes en passe d’être utilisés à des fins pas toujours respectueuses de la personne humaine et de sa dignité. C’est pour cela que nous devons être soucieux de contenir par l’éthique l’exposition sociale de la psychologie », conclut Patrick Cohen. Si cette communication psy-esque permet sa démocratisation positive auprès du grand public, elle n’est pas sans risque. Ni pour les usagers confrontés à d’éventuelles inepties, ni pour la profession elle-même, brouillée par les idées reçues d’une psychologie dénaturée. À bon entendeur… ∞
(1) Delphine Saubaber et Natacha Czerwinski, « Attend-on trop des psys ? », L’Express, 18 juillet 2005, consultable sur www.lexpress.fr
(2) Odile Jacob, 2004.
(3) Échange avec Vincent de Gaulejac, « Ne pas psychologiser les problèmes sociaux »,Gestalt, n° 29, 2005/2.
(4) François Roustang, La fin de la plainte, Odile Jacob, 2009.
(5) Patrick Ange Raoult (dir.), La psychologie clinique et la profession de psychologue. (Dé) qualification et (dé)formation ?, L’Harmattan, 2005.
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