Retrouvez cette enquête publiée sur le site du Cercle Psy.
Les pratiques des psys se transforment, se façonnent, au gré des besoins collectifs et du développement des techniques de communication. Quelles seront les pratiques des psychologues de demain ? A quelles difficultés vont-ils être confrontés ?
Psychologue à domicile, psychologue de rue, psychologue par internet, par téléphone, psychologue dans le champ des transports en commun, du sport, du troisième âge, des nouvelles technologies, de la sécurité routière… « L’évolution sociétale a entraîné une multiplication des champs d’intervention des psychologues » analyse Patrick Cohen, psychologue du travail et chargé de communication à la FFPP[i]. La profession prend des tournures inédites, qui ont de quoi surprendre les plus conservateurs. La psychologie se répand, se démocratise, au plus proche du quotidien du grand public. « Si le fond du métier de psychologue demeure constant d’un point de vue sémantique à travers les décennies, la forme de ses interventions va quant à elle subir de grandes mutations » indique Patrick Cohen. Certaines pratiques, actuellement émergentes, tendront à se développer ces dix prochaines années. Sans oublier que la psychanalyse souffre d’une perte de vitesse au profit des neurosciences et des thérapies comportementales et cognitives, dans une société où les désirs de productivité et de célérité se sont accrus. L’image traditionnelle du patient qui consulte son psychologue dans un cabinet, fruit de notre inconscient collectif, est donc touchée de plein fouet. Pour le meilleur ou pour le pire ? Nul ne peut le prédire.
Littéralement au chevet du patient
Tout psychologue est sensible à la demande du patient et à sa motivation à venir le consulter. Telle est la pierre angulaire de la démarche thérapeutique. Or, dans le courant actuel de démocratisation de la psychologie, cette démarche tend à s’inverser, notamment dans le cas des psychologues à domicile : ce n’est plus le patient qui va physiquement (et symboliquement ?) à la rencontre du psychologue, mais le psychologue lui-même qui va au-devant du patient. Une pratique, en pleine essor, qui se révèle nécessaire pour les individus demeurant dans l’incapacité de se déplacer (personnes âgées, handicapées, en fin de vie, etc.). « Dans l’intimité de son cabinet ou de son bureau, c’est le psychologue clinicien qui assigne sa place à celui qui vient le consulter. Ici, les rôles sont inversés : nous sommes invités à nous installer à tel endroit, parfois peu confortable » témoigne Françoise Ellien, psychologue, psychanalyste et directrice du réseau de santé ville-hôpital Soins Palliatifs Essonne Sud, au cours du XIIème congrès National de la SFAP[ii].
Patrick Cohen complète : « Contrairement à sa pratique en cabinet, au domicile du patient, le psychologue ne gère plus le cadre et n’en maîtrise plus toutes les variables. Il est désormais soumis à la réalité dans laquelle il intervient, aux odeurs et aux bruits ambiants, aux personnes qui sont à proximité, etc. Ce contexte n’offre pas le même sens à la relation ». Si le besoin des individus d’être visités par un psychologue est réel, les psychologues sont-ils prêts quant à eux à quitter le cosy de leur cabinet ? « Certains psychologues peuvent être déstabilisés par cette absence de cadre traditionnel, se sentir envahis, dans la perte de leurs repères, au risque d’être inopérants » complète Patrick Cohen. L’objectif ? Recréer un cadre symbolique, quel que soit l’environnement. Une réelle capacité d’adaptation est sollicitée. Cette nouvelle forme d’intervention tend à se développer avec le vieillissement démographique de la population. Et pour cause : d’ici à 2050, près de 18 millions de personnes auront plus de 65 ans, tandis qu’entre 2005 et 2050, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans va augmenter de 288 %. Cette dynamique d’aller à la rencontre du « patient » est commune aux psychologues de rue.
Accessible 24h/24 ?
Tandis que la psychologie se démocratise, les outils de communication inédits émergent, en lien étroit avec le boom des nouvelles technologies. Immanquablement, les psychologues, rois de la communication par définition, n’échapperont pas au phénomène. Certains s’y sont d’ailleurs déjà adonnés. « La cyberpsychologie est devenue en peu de temps une pratique incontournable du paysage professionnel français. Incontournable car on ne peut pas faire l’économie de ces enjeux sociétaux, qui convoquent la psychologie en dehors de ses cadres habituels » suggère Cyrille Le Jamtel, psychologue clinicien et secrétaire de la CNCDP[iii] dans son article « Psychologie de l’avatar : avatar de la psychologie » publié dans le Journal des Psychologues (n°301, 2012). Désormais, les psychologues peuvent être consultés par webcam, par mail, par téléphone, par tchat. Les tarifs, affichés sur les sites, varient entre un et deux euros par minute, et entre 25 et 30 euros par mail. Les fonctions, on ne peut plus diverses, vont du soutien à la psychothérapie, en passant par l’orientation, le conseil et le coaching. Ce recours à ces outils de communication va s’accompagne des formes d’intervention relativement inédites : un nombre croissant de psychologues s’octroient une position davantage proactive dans la relation à leur patient, accompagnée d’une liberté d’expression et d’opinion personnelle. Dans ce sens, la psychologie positive a le vent en poupe.
Mais attention, les fervents passionnés des ordinateurs ne seront bientôt plus à la page. Nos bons vieux compagnons de route déclinent au profit des téléphones portables et tablettes en tous genres. « Des études tendent à prouver que, dans les années à venir, les gens navigueront plus avec leur smartphone qu’avec leur ordinateurs. D’où l’intérêt d’utiliser ce support de communication qui offre une accessibilité hors du commun et qui est totalement dans l’air du temps » arguent sur leur site internet les concepteurs de « Monsieur Coach », un service de coaching ou de thérapie via smartphone. Au rendez-vous de ces consultations hors du commun ? Des psychologues, des psychothérapeutes, des diététiciens et bien entendu… des coachs. Dans la partie « Choisir son coach » apparaissent le visage du thérapeute, son parcours, son planning-horaire, et pour les plus téméraires, une présentation vidéo à la qualité plus ou moins douteuse, comme filmée par la caméra du petit cousin à l’occasion du repas de famille dominical… Espérons que ces thérapeutes manient mieux les ficelles de la psychologie que des nouvelles technologies.
La cyberpsychologie, entre atouts et limites
Quels sont les arguments de vente des créateurs de ces services en ligne ? Yoann Hervouet, formateur en e-marketing et co-fondateur de tonpsy.fr, plateforme de consultation de psychologues et psychanalystes par webcam, nous répond : « Il s’agit de faciliter l’accès à la thérapie pour certaines personnes qui refusaient d’en suivre une jusqu’à présent, par timidité, pour cause de handicap moteur, par contraintes d’emploi du temps. Du côté des thérapeutes, on sait à quel point trouver un emploi est compliqué. Notre outil est un tremplin pour leur permettre d’exercer plus facilement, sans avoir à subir les charges parfois écrasantes pour un thérapeute débutant (le loyer du cabinet notamment) ». Argumentaire partagé par certains psychologues eux-mêmes : « Plusieurs pages ne suffiraient pas à lister la multitude des avantages d’internet tant ils sont considérables » confie Patrick Cohen dans son article déjà cité.
Or, si la cyberpsychologie peut se vanter de nombreux atouts, elle présente également son lot de limites. Patrick Cohen relève deux inconvénients majeurs à cette consultation distanciée : « Avec une rencontre dématérialisée, le psychologue se coupe de certaines données qui favorisent une meilleure compréhension de l’autre : mouvements parasites (jambes, mains), transpiration, tensions corporelles, odeur (alcool notamment), etc. Le second inconvénient, si le psychologue n’a pas réfléchi à son cadre relationnel, concerne l’accessibilité permanente du psychologue. Point de déplacement à effectuer, point d’horaire à respecter, le psychologue peut à tout moment recevoir des mails, des textos. » L’optique de telles consultations a de quoi faire frémir les psychologues qui affectionnent le cadre thérapeutique traditionnel. Aux vives critiques, qui sillonnent cabinets et institutions, Yoann Hervouet répond : « Nous ne prétendons aucunement remplacer la psychologie du « face à face physique » par une psychologie « du face à face par webcam ». Comme l’explique si bien Pierre Musso[iv], les nouveaux usages n’oblitèrent jamais totalement les anciens : ils constituent une « surcouche », un méta-niveau, ils améliorent l’expérience utilisateur de ceux qui le choisissent, sans pour autant signer l’extinction des anciens usages. Notre service ne s’adresse pas à tout le monde, mais uniquement aux personnes (patients et thérapeutes) qui se sentent à l’aise avec cet outil, ce nouveau médium ». Envisager l’outil plutôt que de lui résister, voilà ce que préconise Patrick Cohen : « La question qui se pose donc aujourd’hui n’est plus pour ou contre Internet, mais plutôt comment Internet et dans quelles conditions ? ».
Une console de jeu en guise de psychologue ?
Vous pensiez avoir tout vu ? Détrompez-vous ! Certains scientifiques se saisissent du boom de ces nouvelles technologies pour nourrir la psychologie. Attention les mirettes : des chercheurs de l’Institute for Creative Technologies de l’USC (University of Southern California) ont adapté la Kinect de la console de jeux vidéo Xbox 360 Microsoft (c’est-à-dire le capteur permettant de contrôler le jeu vidéo sans manette), pour en faire un outil capable de diagnostiquer la dépression. Le principe ? Dans le cadre d’un programme, intitulé SimSensei, l’usager est invité à répondre à un questionnaire interactif, tandis que les expressions de son visage, sa posture, sa manière de parler sont simultanément analysés par la fonction de détection de mouvements de la caméra Kinect. La précision de cet outil, qui avoisinerait les 90 %, se substituerait à un psychologue du moins pour une phase de pré-diagnostic. Nous imaginons d’ici, sans difficulté, l’emblématique Freud se retourner dans sa tombe. Mais ce n’est pas tout. Après le diagnostic, place au traitement.
A l’université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, pays comptabilisant l’un des taux de suicides de jeunes parmi les plus élevés au monde, les médecins Sally Merry et Karolina Satsiak ont créé Sparx, destiné à traiter la dépression des adolescents. Dans ce jeu vidéo échelonné en sept niveaux, dont la méthodologie s’inspire des thérapies cognitives et comportementales (TCC), le joueur est invité à effectuer des missions censées le conduire à la guérison : tuer des moustiques représentant des pensées négatives (« tout le monde me déteste », « je suis nul »), apprendre à gérer les émotions fortes, comme la colère, en échangeant avec des dragons, élaborer des solutions visant à développer la pensée positive. Selon la présentation de ce projet publié en avril 2012 dans le British Medical Journal, sur les 187 adolescents qui ont participé à cette étude, 44 % se seraient remis de leur dépression, contre 26 % avec une prise en charge traditionnelle. « A ce jour, la technologie ne remplace pas intégralement les soignants, mais on s’en approche dans les soins de première ligne (…) Nous avons franchi l’étape où les nouvelles technologies ont acquis un certain degré d’autonomie. On peut raisonnablement penser que le jour où un objet technologique sera totalement autonome en sciences humaines est encore un peu loin (mais toujours plus proche qu’on ne le pense, c’est sûr) » déclare Carl-Maria Mörch, psychologue clinicien, dans son article « Mon psychologue est une console de jeu » publié sur son site internet Huffington Post. Sans doute les psychologues de demain seront-ils sollicités pour élaborer conjointement, avec les geeks, ces nouveaux outils.
Si les psychologues redoutent, à juste titre, l’explosion des nouvelles formes d’interventions liées au développement des technologies, ils se doivent pourtant de les envisager, pour mieux s’y préparer. « Se prémunir des « mésusages » de la psychologie implique d’en explorer les « usages » nouveaux qui sont appelés à prendre une place toujours plus importante dans le paysage psychologique » conclut Patrick Cohen. Bref, dans cette mélasse d’incertitudes, une chose est sûre : les psychologues seront invités, incessamment sous peu, à déployer des trésors d’adaptabilité. Mais y a-t-il une limite à ne pas franchir ? Patrick Cohen nous répond : « Du moment que la méthodologie du psychologue est élaborée et cohérente, toutes les demandes sont recevables. Il ne faut pas oublier que le fond de l’intervention prime sur la forme. En revanche, si le praticien constate que les conditions d’exercice à sa bonne pratique ne sont pas requises, il doit refuser. Il faut faire le tri et distinguer les effets de mode des réels besoins. Les dangers de la marchandisation de la psyché et les risques d’instrumentalisation du psychologue sont incontestables ! »
[i] Fédération Française des Psychologues et de Psychologie
[ii] Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs
[iii] Commission Nationale Consultative de Déontologie
[iv] Pierre Musso est animateur de la chaire «Modélisations des imaginaires, innovation et création», philosophe de formation, Professeur à l’Université de Rennes 2 et à Télécom Paris Tech et auteur d’ouvrages sur la communication et les médias.
A reblogué ceci sur Actualité de la psychananalyse.
Très intéressant. A mon sens les limites entre la médecine et la psychologie vont se s’effacer. D’autre paramètres (Data) permettront de mieux orienter les patients vers une thérapie plus personnalisée.