Sommes-nous tous conformistes ?

Source photo : http://fr.sott.net

Retrouvez cette enquête publiée dans la revue « Ça m’intéresse » d’avril 2013.

Nous rêvons tous de sortir des sentiers battus. Une ambition compliquée dans une société qui favorise le comportement inverse…

« Je pense donc je suis » disait Descartes. « Ils pensent donc je les suis », répliquent les psychologues qui se sont penchés sur nos comportements conformistes. Les exemples abondent : le 21 décembre 2012, la vidéo « Gangnam Style » du sud-coréen Psy dépasse le milliard de vues sur YouTube, soit 4367 par seconde en 7 mois ! L’Iphone 5 s’est vendu à 5 millions d’exemplaires dans le monde en un week-end malgré un prix plus élevé que les concurrents. La femme mince est tellement devenue l’archétype de la beauté féminine que 90 % des femmes pensent que les hommes ne sont pas attirés par les femmes rondes. Enfin, malgré leur désir de donner des prénoms originaux à leurs enfants, les parents suivent les modes.

« Le conformisme revêt des situations très différentes au quotidien, souligne Sylvain Delouvée, maître de conférences en psychologie sociale à l’université Rennes II et auteur de Pourquoi faisons-nous des choses stupides et irrationnelles (Dunod, 2011). Le respect des normes et des règles, comme ne pas parler pendant une pièce de théâtre ou suivre le code de la route en relève aussi»… En 1958, le psychologue social américain Herbert Kelman met en évidence trois degrés de cette puissante influence sociale. Tout d’abord, nous pouvons suivre les autres par complaisance afin de ne pas nous faire remarquer et d’éviter de nous attirer des ennuis. Ainsi, dans une entreprise, nous respectons les règles et habitudes : horaires de travail, tutoiement éventuel, code vestimentaire… Mais nos croyances ne bougent pas d’un cil ! Deuxième type de conformisme : l’identification. Avec des amis, nous adoptons les usages du groupe afin de nous intégrer, de ne pas être mis à l’écart. Enfin, l’intériorisation est plus subtile: nous épousons l’opinion de quelqu’un que nous jugeons expert, un professeur par exemple, à tel point que nous avons l’impression d’adhérer à son jugement de notre plein gré.

La célèbre expérience de Salomon Asch, menée en 1951 démontre la vertigineuse pression que peut exercer un groupe. Le principe ? Des volontaires observent 4 lignes verticales de longueur différente et doivent retrouver celle qui est identique à la première. Un exercice enfantin. Mais si les cobayes sont entourés d’autres participants – en fait des complices de l’expérimentateur- et que ces derniers se trompent volontairement, les premiers donnent en moyenne 36,8% de réponses erronées. Comment tombent-ils dans le panneau? A l’époque, les piégés ont expliqué : sûrs d’eux, certains ont eu peur d’affronter le groupe. D’autres ont craint le ridicule. Le doute sur la solution correcte s’est même immiscé dans leur esprit.

Des ondes magnétiques pour « guérir » le conformisme !

Depuis des expériences similaires sont venues nuancer l’étude d’origine. En fait les attitudes divergent selon le pays, le niveau d’études etc. En 1980 par exemple, une enquête montre que les étudiants en physique britanniques se laissent peu impressionner par le groupe. Selon d’autres études, les Norvégiens se montrent un peu plus influençables que les Français (mais moins que les Chinois ou les Brésiliens), globalement les femmes sortent moins du rang que les hommes et le niveau de conformisme a diminué depuis 50 ans. Quid des enfants ? En 2011, Daniel Haun et Michael Tomasello, de l’institut Max Planck à Leipzig ont confié en 2011 à des bambins de 4 ans des livres d’images : sur chaque page de gauche apparaissait une famille d’animaux, par exemple les ours avec le père, la mère, le petit. La page de droite, elle, ne montrait qu’un seul des trois. But de l’expérience pour les enfants, répartis en groupes de 4 : énoncer tout haut de quel personnage il s’agissait. Or un des 4 livres affichait un autre personnage. Comment les lecteurs de ce dernier ont ils réagi quand ils ont entendu les avis unanimes – mais faux selon eux- de leurs camarades ? Sur 24, 18 ont suivi la majorité. En revanche, quand ils ont pu donner la réponse secrètement à l’expérimentateur, seuls 8 sur 18 ont fait fausse route!

Crédit photo Just.Luc via Flick'r

Depuis peu, les neuroscientifiques viennent à la rescousse des psychologues pour évaluer notre propension au panurgisme. En effet, selon des chercheurs de l’université de Nimègue (Pays-Bas), notre cerveau est équipé d’un senseur de l’idéologie dominante. Pour le prouver, ils ont placé des volontaires dans un scanner, leur ont montré des photos de visages et demandé : quels sont les plus attirants ?, tout en leur communiquant l’avis des autres participants. Verdict : dès que l’opinion individuelle ne concorde plus avec celle du groupe, deux zones cérébrales, le noyau acumbens et le cortex cingulaire rostral – c’est-à-dire le circuit des erreurs- s’activent. Du coup, les cobayes modulent leur jugement afin de se caler sur celui de tous. « Le cerveau cherche à estomper le signal d’erreur, comme le thermostat chercherait à réduire l’écart entre la température mesurée et la température demandée » précise Mathias Pessiglione, neuropsychologue, chargé de recherche à l’Inserm- hôpital de la Salpêtrière. Plus étonnant, en 2012, les neuroscientifiques ont réussi à désactiver une zone du conformisme (le cortex frontal postéromédian) grâce à des ondes magnétiques. Puis ils ont renouvelé l’expérience des photos de visages. Résultat : les cobayes se sont révélés moins moutonniers.

Chacun de nous est persuadé de ne pas appartenir au troupeau

A l’inverse, une simple pulvérisation dans le nez d’ocytocine, l’hormone de l’attachement permet de renforcer l’influence du groupe. Lors d’une expérience menée à Amsterdam, des volontaires devaient attribuer une note de 1 à 5 à des dessins géométriques. En parallèle, ils voyaient les notes administrées par les autres s’afficher sur l’écran. Résultat : les sujets ayant pris un placebo ne se sont pas beaucoup laissé infléchir. En revanche, les sujets shootés à l’ocytocine ont donné des notes plus généreuses quand le groupe avait fait de même. En bref, l’ocytocine favorise la sensation de proximité et donc le désir d’imiter. Des résultats qui laissent présager le conformisme régnant au sein des familles ou des bandes d’amis… Alors, il suffirait d’une petite manipulation pour réduire au silence les esprits les plus indépendants ? Pas si simple ! « Ces recherches ne concernent que des tâches simples, souligne Damon Tomlin, chercheur à l’Institut des Neurosciences de Princeton. Des prises de décision plus complexes incluraient probablement d’autres circuits».

Si nous sommes bel et bien programmés pour le conformisme, c’est à notre corps défendant ! « Notre société considère qu’un individu conformiste est influençable, incapable de défendre ses idées » confirme Sylvain Delouvée. A l’opposé, on valorise l’individualisme, la libre pensée, l’esprit d’initiative. A tel point que nous sommes tous persuadés d’être « un individu isolé au milieu d’un troupeau de moutons », selon Emily Pronin, chercheuse en psychologie à l’université de Princeton. Au fil de ses études, elle a mis en lumière que dans des domaines divers comme la consommation d’alcool, l’achat de marques à la mode ou d’appareils électroniques, les étudiants s’estiment toujours moins conformistes que la moyenne. Mais les anti-conformistes, purs et durs restent rares…

« Si une société n’était peuplée que d’originaux, nous vivrions dans l’anarchie ! »

Source image : http://atelierdeclement.over-blog.com/« Ne pas être conformiste, c’est avoir le courage d’être seul contre tous, de se distinguer de la masse et donc de prendre le risque de se séparer du groupe, de se confronter à l’angoisse de l’abandon, de la solitude et de la mort », analyse Ariane Bilheran, docteur en psychopathologie et auteur de Manipulation : la repérer, s’en protéger (Armand Colin). Peut-être aussi les anti-conformistes réussissent-ils à s’affranchir des carcans imposés par la société. En ligne de mire : les médias, l’école, la publicité… « La plupart des médias pratiquent une programmation fédérative qui s’efforce, non de satisfaire des besoins et aspirations différenciés mais d’agglomérer des consommateurs », juge Henri Maler, philosophe, maître de conférences en science politique et fondateur de l’Acrimed (Action Critique Médias). « La diffusion par les médias de propos angoissants suscitant des peurs archaïques et la sélection de scoops et d’informations identiques inhibent largement l’esprit critique », ajoute Ariane Bilheran. Au banc des accusés figure aussi la publicité, qui propose la vision d’un monde stéréotypé (le père dans sa belle voiture, la mère qui fait la lessive pour sa famille..) mais exploite aussi le rôle du groupe, comme en témoignent les spots mettant en avant que « 99% des clients sont satisfaits ». Avec le bouton « j’aime », Facebook surfe sur cet effet puisque les usagers savent quels amis plébiscitent la page d’une entreprise.

Au XVIIIème siècle, Condorcet notait déjà que le système démocratique livre des décisions sensées, à condition que les électeurs ignorent les décisions des voisins. Or les sondages malmènent ce postulat. En 2012, entre les 2 tours de l’élection présidentielle, 1000 votants ont été interrogés sur leurs intentions de vote. Quand l’expérimentateur leur a montré un sondage fictif allant à l’encontre de leur première idée, un répondant sur 4 a changé d’opinion pour rallier l’avis de la majorité…  La gelée des pensées individuelles, le manque d’esprit critique, induits par le conformisme mènent parfois aux pires extrêmes. « L’excès de conformisme produit le totalitarisme, qui dépossède l’individu de ses capacités de réflexion, lorsque la société dit : ne perdez pas de temps à penser par vous-même, on pense pour vous !» explique Michel Fize, sociologue au CNRS et auteur de L’individualisme démocratique (L’œuvre, 2010).

Si décrié soit-il, le conformisme n’a pas que des inconvénients. Selon la théorie de l’Evolution, si notre cerveau est équipé des circuits cérébraux le favorisant, ils doivent jouer sur notre survie. « Les sociétés ne peuvent fonctionner que si la majorité des membres se conforme à des règles communes», souligne Sylvain Delouvée. Nous sommes des créatures sociales : si tout le monde parle du best seller 50 nuances de Grey à la machine à café du bureau, nous avons envie de participer. « Si une société n’était peuplée que d’originaux, nous vivrions dans l’anarchie ! », ajoute Michel Fize. « Certains individus sont particulièrement rassurés par la pensée dominante qui leur évite de se confronter à leur propre angoisse existentielle, une forme de soumission qui les protège de la solitude » renchérit Ariane Bilheran.

 

C’est justement pour échapper à la solitude que les adolescents sont parfois prêts à tout pour arborer un blouson Abercrombie ou une chemise Kaporal. « L’ado se retrouve subitement propulsé dans un monde d’adultes, il cherche à se regrouper avec d’autres jeunes pour développer son autonomie, que j’appelle une autonomie collective, explique Michel Fize. Quand on parle d’adolescence, on parle d’adolescents au pluriel. Il s’agit d’un conformisme subit. La pression sur la tête du collégien est considérable ». En 2009, Gregory Berns, neuro-économiste à l’université d’Emory, étonné du succès de la chanteuse Miley Cyrus auprès des ados s’est posé une question simple : aiment-ils sa musique ou l’écoutent-ils pour se fondre dans la masse ? Pour le savoir, il leur a demandé d’évaluer des chansons à la mode, à l’aveugle puis avec un indice sur leur popularité. Pendant l’expérience, il a enregistré l’activité de leur cerveau. Lorsque les ados apprécient une chanson, le nucleus caudate, zone du plaisir s’active. Mais si à la vue de l’audience d’un clip, ils changent d’opinion, ce sont les régions liées à l’anxiété et à la douleur qui se mettent en branle. Conclusion : c’est bien la terreur d’être exclu qui entraîne un revirement.

Dans ces conditions, pas simple pour les jeunes et les moins jeunes d’imposer leur différence. Alors, comment taire les comportements moutonniers qui sommeillent en nous ? « Trouvez des alliés !, conseille Véréna Aebischer, maître de conférences de psychologie sociale et co-auteur avec Dominique Oberlé de « Le groupe en psychologie sociale » (Dunod, 2012). Dans son étude, Asch avait déjà montré qu’à partir du moment où une autre personne soutient votre point de vue, vous résistez au conformisme». Ariane Bilheran va plus loin : il est impératif de se créer des espaces intimes, de se cultiver, de voyager. Seule l’ouverture à la différence permet de développer l’esprit critique et d’accéder à d’autres champs de conscience…»

5 commentaires sur “Sommes-nous tous conformistes ?

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  1. je déteste les conformiste et les anti-conformise a la fois car les 2 se prennent la tête. moi je certain pense que je suis conformiste puisque je m’en fout d’etre un mouton d’autre pensent que je suis anti conformiste parce que je ne regardent pas le regard des gens. en réalité je suis aucun des 2 puisque les deux sont beaucoup trop compliqué pour moi et que je suis quelq’un de simple.

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