Tout-petits et accros aux marques !

Source : http://www.marketing-chine.com/analyse-marketing/hello-kitty-sponsoring-dun-hotipal-en-chine

Retrouvez cet article publié dans la revue Infobébés de mars- avril 2013.

Ils parlent à peine, et expriment déjà haut et fort leur attirance pour tel ou tel T-shirt ou personnage. Les Hello Kitty et autre Dora sont les Dior et Vuitton de nos baby-fashion victims. Pourquoi ? Faut-il résister ?

Votre mission du jour ? Dégoter une jolie robe pour votre petite Chloé. Ni une ni deux, vous grimpez dans votre voiture en direction du centre commercial. Confiante ? Pas tant que cela. Car la tâche n’est pas mince ! Une fois au rayon d’habits pour enfants, la situation se complique. Vous-même avez un coup de cœur pour une charmante petite robe rose à pois blancs. Vous en êtes convaincue, celle-ci lui ira comme un gant ! Malheureusement, votre puce n’est pas vraiment de cet avis. Du haut de ses deux ans, elle vous témoigne son vif intérêt pour une robe à l’héroïne saillante, largement connue des tout-petits, et dont vous êtes loin de raffoler. Vous lui tenez tête au point de provoquer une grosse colère sous le regard jugeant de vos acolytes de shopping. Finalement, épuisée de négocier, vous capitulez et lui achetez la robe qu’elle souhaitait… Eh non, l’attrait pour tel ou tel personnage dérivé ne demeure pas l’apanage des plus grands et s’observe dès le plus jeune âge, au plus grand dam de certains parents. Au point que les choix de votre bout’ chou s’opèrent malgré lui, et malgré vous, sous le diktat des lois du marketing. Que dire d’un tel succès ? Comment expliquer qu’un p’tit bonhomme de moins de deux ans, dont les premiers mots font à peine leur apparition, peut être déjà si sensible aux personnages en tous genres ?

 

Un personnage attractif et facilement identifiable

Pour nous autres les adultes, chaque marque est porteuse d’un style, d’une qualité, d’un état d’esprit auquel nous adhérons. Celles-ci ponctuent notre vie et notre consommation de tous les jours, qu’il s’agisse d’acheter un nouveau chemisier ou une simple boîte de gâteaux. Pour nos très jeunes enfants, la situation est sensiblement différente. Il ne s’agit pas de marques en tant que telles, mais de  licences, ces personnages dérivés que l’on retrouve aussi bien en héros d’un dessin animé que sur une paire de chaussettes ou une brosse à dents, et souvent issus de l’univers des plus grands. Ces personnages ont une fonction proche de celle des marques, dans le sens où l’intérêt que le tout-petit leur témoigne est proche de celui des adultes pour ces fameuses marques. Tout commence par l’introduction de ce héros, attractif et aisément identifiable de près comme de loin, dans la vie de votre bout’ chou, au détour d’un jouet offert par mamie ou d’un panneau publicitaire au coin de la rue. A force de croiser son image, votre loustic va commencer à l’apprécier quand il sera présent, puis à le désirer quand il sera absent. « L’attirance de mon petit garçon pour Spiderman a commencé très tôt, bien avant ses deux ans, alors qu’il n’avait encore jamais regardé les films. C’est sur un paquet de céréales qu’il l’a vu la première fois. Celui-ci contenait un petit jouet à son effigie dont mon fils ne s’est plus séparé. Difficile de déterminer ce qui se passait réellement dans sa petite tête ni pourquoi il réclamait sans cesse ce personnage que je trouve, pour ma part, horriblement laid ! » confie Martha, maman de Mathéo, trois ans (par internet). Rapidement, votre enfant va associer un mot verbal à ce personnage visuel. Et plus celui-ci sera d’une structure phonétique simple, plus il sera mémorisable et prononçable par le consommateur en herbe. Bref, tout pour le rendre addict !

 

Les copains d’abord !

Mais attention, si les marketeurs exercent un pouvoir sur votre petit bonhomme, ils ne sont pas pour autant tout-puissants. Et c’est tant mieux ! Aucune stratégie commerciale, aussi bien ficelée soit-elle, ne pourra rivaliser avec ses fameux copains. Car n’oublions pas que le jeune enfant est avant tout un être social largement influencé par ses semblables. Vous êtes sensible aux habits que porte votre meilleure amie ? Lui aussi ! Il vous est déjà arrivé d’acheter la même robe que votre collègue ? Il en est de même pour lui ! Et c’est pour cette raison que nous sommes tous plus ou moins vêtus de la même façon, bien que nous conservions au fond de nous-mêmes l’impression illusoire d’avoir notre propre style. Bref, à force de croiser du regard la tête de girafe qui trône sur le pull de sa copine de crèche, votre Apolline n’aura aucune difficulté à l’identifier dans un centre commercial ! Assia, auxiliaire de puériculture en crèche collective dans les Yvelines, témoigne : « Chez les ‘grands’, mais parfois aussi chez les ‘moyens’, j’ai remarqué que certains enfants prenaient plaisir à montrer à la professionnelle qu’ils avaient le même tee-shirt que leurs copains. Je me souviens de deux petites filles qui avaient traversé la section, le pull relevé et l’air sérieux, pour me montrer qu’elles avaient le même body. Elles semblaient si fières ! ». Si les marketeurs cherchent à séduire leurs consommateurs en herbe en placardant un personnage attractif sur tous leurs produits, une partie du choix de l’enfant sera donc tributaire de ceux de ses copains.

 

Un atout pour son développement identitaire

Cette dimension humaine des personnages dérivés présente quelques bénéfices pour son développement social et identitaire. Porter sur ses chaussures la même petite tête de lapin que son voisin alimente leur similitude. C’est une manière pour eux de s’inscrire dans le monde des tout-petits, à savoir dans un groupe social distinct de celui des adultes. Le personnage contribue ainsi à la construction de l’identité de ceux qui le portent. L’enfant s’affirme et cultive ainsi son individualité vis-à-vis de ses parents. Le bénéfice est également social dans le sens où porter un même tee-shirt qu’un autre enfant, peut l’encourager à entrer en contact avec lui. Ce qui peut marquer le début d’échanges parfois positifs et pérennes. Car, que l’on souffle notre première bougie, ou que l’on fête notre soixantième printemps, ce qui nous ressemble nous attire. Immanquablement. « Dans les débuts, je me souviens avoir eu beaucoup d’influence sur les choix des habits de mon petit Nathan. Le seul fait de lui manifester que je n’aimais pas du tout cette paire de baskets, suffisait à le faire céder. Or, quand il a attaqué la fameuse phase d’opposition, la situation semblait s’être inversée. Moins j’aimais un personnage et plus il l’adorait ! » se souvient Estelle, maman de Maxens, trois ans et demi (Paris).

 

Des enfants manipulés et conditionnés

Malheureusement, l’influence des marketeurs est loin d’être positive à 100 %. A l’heure actuelle, la manipulation de vos loulous est sans précédent. Jamais les très jeunes enfants n’ont été autant perçus comme des consommateurs. Ces stratégies marketing court-circuitent votre pouvoir de maman. Vous n’êtes plus la seule décisionnaire. Ils incitent votre enfant à consommer des produits qui ne sont pas toujours adaptés à son développement, voire néfastes. Et ce, dans une dynamique essentiellement économique. Bonjour l’éthique ! La jolie tête de souris présente sur le paquet de gâteaux va rendre attractif son contenu aux yeux de votre Margaut, même s’il va totalement à l’encontre de ses besoins nutritionnels. De quoi faire bondir de sa chaise un diététicien scrupuleux ! Au-delà de cette manipulation peu morale reconnaissons-le, les marketeurs plongent votre loustic dans un univers stéréotypé. Aux garçons l’aventure, la violence, la vitesse, afin de découvrir le monde et dépasser ses limites. Aux filles, la maternité, l’esthétisme, le rêve, les relations sociales. Certaines effigies très féminisées, parées de rose pétant et de paillettes dorées, attirent les petites filles en nombre, et font fuir les garçons. Distinction que les parents cultivent malgré eux. Si cette différenciation excentrique du genre contribue à la construction de leur identité sexuelle, elle leur transmet également les valeurs sexistes de notre société, et ce dès le berceau. De quoi faire tressaillir certains parents et associations féministes !

 

Un vrai dilemme pour les parents

Votre position de parent n’est pas des plus confortables, et vous plonge au cœur d’un réel dilemme. Vous mettez d’un côté tout en œuvre pour satisfaire les envies de votre enfant dès sa première heure de vie. Lui faire plaisir est votre seconde nature. D’un autre, vous le trouvez bien trop jeune pour être ainsi tributaire des lois du marketing. D’autant plus que les personnages fétiches qu’il vous réclame, imperturbable et déterminé, finissent par vous sortir par les yeux. « En tant que jeune maman, j’étais pleine d’illusions. Je pensais pouvoir préserver Anaëlle de toute cette société de consommation, au moins jusqu’à la maternelle.  Malheureusement, l’environnement extérieur a fini par s’engouffrer rapidement dans le cocon familial. Et comme la majorité des petites filles de son âge, elle a commencé à me réclamer des tee-shirts Hello Kitty et Dora ! » témoigne Christelle, maman d’Anaëlle, trois ans (Meaux). Sans pour autant rejeter en bloc tous les choix de votre enfant, il vous est possible de modérer son adhésion à ces vedettes. Armée d’une bonne dose de courage, expliquez-lui la raison de votre refus : « La dernière fois, je t’ai offert les chaussures que tu voulais. Cela m’a fait plaisir de te faire plaisir. Aujourd’hui, tu peux me dire ce que tu préfères, mais c’est moi qui choisis ». Si le non est générateur de vives frustrations, il fait partie intégrante de son éducation, et lui est donc précieux. Et puis, une chose est sûre : quand il sera adolescent, vêtu d’habits aussi improbables les uns que les autres, vous vous souviendrez avec nostalgie de cette période où vous aviez le dernier mot !

 

Vous l’aurez compris, les petits personnages qui ornent l’univers enfantin n’ont pas fini de faire parler d’eux. Qu’ils vous séduisent ou vous exaspèrent, ils continueront, quelques années durant, à faire briller les yeux de vos enfants. A vous donc de choisir quelle place vous souhaitez leur accorder… pour le meilleur et pour le pire !

 

Partenaires particuliers !

« Et si les parents faisaient de leurs ennemis de véritables alliés ? Ces petits héros occupant le terrain, autant leur attribuer un rôle éducatif. Un enfant rechigne à se laver les dents ? Il sera judicieux d’arguer de la présence de son ourson préféré sur son dentifrice pour rendre l’épreuve moins éprouvante. Il craint de s’endormir ? Le personnage fétiche qui orne sa lampe de chevet, tel le gardien de ses rêves, tendra à le sécuriser. C’est aux parents de donner un sens à une société de consommation qui conditionne les esprits.

Nicole Voisembert, psychologue clinicienne, en cabinet privé à Paris.

 

Hello Kitty : la petite tête qui valait un milliard d’euros

Cette chatte à la tête ovale et aux dix poils de moustaches, remporte les suffrages des enfants des quatre coins du monde. Les raisons de son succès sont multiples : ses traits sont schématisés et donc aisément identifiables. Son gros ruban rose sur la tête satisfait les petites filles en quête de féminité. L’absence de sa bouche leur permet de lui accorder leurs propres émotions. Mais surtout, Hello Kitty est partout : pulls, culottes, lampes de chevet, bonbons… Rien ni personne ne peut lui échapper !

 

Ma fille est unique, sa garde-robe aussi

« J’ai du mal à concevoir que des enfants d’à peine trois ans établissent eux-mêmes leur garde-robe. Pour ma part, je ne tiens pas à ce que ma fille devienne une fashion victim, habillée comme toutes les petites filles de sa section. Résister aux goûts collectifs, c’est aussi une manière pour moi de cultiver son originalité, mon originalité, aux yeux des autres parents. »

Gaël, papa de Nicolas et Matthieu, six mois et deux ans, par internet.

 

 

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

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