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Longtemps ignoré en France, le harcèlement en milieu scolaire (ou bullying) commence à mobiliser le grand public : les cas se multiplient, plongeant parents et enfants dans une grande détresse. Qu’est-ce que le harcèlement ? Qui sont ces enfants harcelés, et harceleurs ? Comment peut-on intervenir ? Réponses de Nicole Catheline, pédopsychiatre et auteur de Harcèlements à l’école (Albin Michel, 2008).
Luc Chatel, Ministre de l’Education Nationale, avait fait de la lutte contre le harcèlement à l’école l’une de ses priorités pour la rentrée 2011-2012. Au point de lancer, le 24 janvier dernier, une ligne d’écoute. Le harcèlement entre enfants, une nouvelle forme complexe de violences qui d’ailleurs n’existe toujours pas juridiquement, a ainsi été reconnue.
Comment les psychologues définissent-ils le harcèlement ?
La définition, qui remonte aux années 1970, repose sur l’émergence simultanée de trois critères : 1) la conduite doit être intentionnellement agressive ; 2) elle doit se répéter régulièrement ; 3) elle doit induire une relation de dominant-dominé entre les deux protagonistes. Le mot même de harcèlement est d’ailleurs mal choisi, car il ne permet pas de restituer sémantiquement toute la complexité de ce type de relation. Celui-ci provient du mot « herser » qui signifie « tourmenter », comme la herse qui tourmente la terre.
Comment s’amorce une situation de harcèlement entre deux enfants ?
Tout commence par la non acceptation d’une différence, qui encourage l’enfant insatisfait à lancer une brimade à l’enfant porteur de cette différence. Jusque là, rien de singulier. Il nous est tous arrivé d’être la cible d’agressions verbales. Mais l’amorce ou non de la dynamique de harcèlement va reposer essentiellement sur la réaction spontanée de l’enfant agressé. Prenons un exemple : « Ta mère t’a déjà dit que tes cheveux étaient trop moches ?! » Si l’enfant répond d’une manière détachée : « Je ne pense pas que ma mère puisse dire ce genre de choses », la dynamique se désamorce. A l’inverse, si l’enfant réagit d’une manière défensive et virulente : « Et toi alors… t’as vu comment t’es fringué ? », la dynamique s’amorce. Tout simplement car l’agressivité et la vivacité de sa réaction montrent à son agresseur qu’il a été touché. Or, l’impact de la brimade procure un sentiment de toute-puissance à l’agresseur, ce qui l’encouragera à réitérer l’expérience. Si les adultes intervenaient lors de ce premier mouvement, la dynamique serait immédiatement désamorcée.
Existe-t-il des profils d’enfants qui risquent d’être plus harcelés que d’autres ?
Au fil de mes consultations, je suis forcée de constater que ce n’est pas n’importe quel enfant qui est victime de harcèlement. Il y a les enfants intellectuellement précoces, d’une part, car leur différence de fonctionnement intellectuel et affectif ne leur permet pas de décoder les intentions implicites des autres. Ou encore un enfant qui est vulnérable psychiquement, suite à des soucis personnels et familiaux, et qui va s’énerver à la moindre brimade. Ou bien encore un enfant très immature qui risque de répondre de manière infantile aux agressions de l’autre enfant, qui se dira alors : « Mais qu’est-ce que c’est que ce bébé ? ».
Et les enfants harceleurs, qui sont-ils ?
Ils sont généralement fragiles narcissiquement, et en perpétuelle interrogation sur leurs propres valeurs. Rabaisser les autres leur permet alors de s’élever, de se narcissiser. L’objectif étant que leur victime se sente impuissante, honteuse, au point de disparaître de la vue du harceleur, en changeant d’établissement par exemple. On retrouve ce type d’enfants dans des familles dont les réactions de survie sont un peu violentes : « La meilleure manière de se défendre, c’est d’attaquer ! » par exemple. Ces enfants partagent alors avec leur victime une certaine vulnérabilité, dont seule la manifestation varie.
Les manifestations de harcèlement évoluent-elles au gré du développement des enfants ?
En effet. Le corps qui prédomine chez les plus jeunes laisse progressivement la place au langage. Vers le CP-CE (6-8 ans), on observe majoritairement des coups, des tirages de cheveux, des règlements de compte immédiats et physiques. A partir du CM (9-10 ans), les règlements de compte s’affinent et s’organisent : on relève des vols de trousses, de vêtements, ou encore des brimades verbales, des rumeurs. Puis, lors de la maîtrise de l’outil informatique, des cyber-harcèlements apparaissent. D’une manière générale, les garçons qui sont plus physiques privilégient les coups, tandis que les filles, qui manient mieux le langage, favorisent les rumeurs.
A quel âge minimum peut-on parler de harcèlement ?
Vers 6 ou 7 ans, lors de l’entrée en primaire. Lorsque l’enfant entre dans le monde des pairs et s’éloigne progressivement de ses parents. Il devient alors en mesure de percevoir l’autre enfant comme un être différent de lui.
Vers quel âge observe-t-on davantage de harcèlements ?
A l’école primaire, les adultes sont assez présents, ce qui permet au groupe d’enfants d’être davantage régulé et moins livré à lui-même. La présence d’adultes pallie à l’immaturité des enfants de cet âge. Au lycée, les adultes ne régulent plus les dynamiques de leurs groupes d’élèves et se focalisent uniquement sur leurs apprentissages. Toutefois, ces jeunes étant plus matures et empathiques, il y aura toujours un élève pour prendre la défense de la victime : « Mais arrête de lui parler comme ça, ça ne se fait pas ! » Le collège reste donc la période la plus critique : les enfants, encore assez immatures, y expérimentent une nouvelle liberté.
Le harcèlement dyadique (un harceleur, un harcelé) diffère-t-il nettement du harcèlement collectif ?
Complètement. Ces deux formes de harcèlement reposent sur des dynamiques bien distinctes. Bien souvent, le groupe est mené par un pervers narcissique. Le harcèlement de groupe est alors plus malsain et évoque le phénomène de la bande : la victime est isolée et « consommée » par la meute toute entière.
Quel rôle jouent les pairs spectateurs dans les situations de harcèlement ?
Les enfants spectateurs jouent un rôle clé dans le sens où ils valident et cultivent le phénomène. Leur opposition permettrait de désamorcer la dynamique. Or, bien souvent les enfants ne s’y opposent pas pour de multiples raisons : « On va quand même pas s’en mêler, sans quoi on va prendre des coups pour rien », ou encore « Moi je ne veux pas passer pour une balance ». L’absence d’opposition du groupe accélère ainsi le processus de victimisation et la perte d’estime de soi de la victime : « Si personne ne dit rien, c’est sans doute parce qu’il a raison et qu’il y a vraiment quelque chose qui cloche en moi ». En même temps, cela conforte le harceleur dans ses actions : « Je ne peux qu’avoir raison puisque personne ne dit rien… Et j’en fais même rire certains ! » L’idéal serait de rendre les spectateurs acteurs.
Quelles peuvent être les répercussions psychologiques du harcèlement sur la victime ?
Les répercussions s’observent à court, moyen et long terme. A court terme, la victime souffre d’une perte d’estime de soi au point d’adopter une position basse par rapport au groupe. Ce qui cultivera un sentiment d’exclusion, et donc l’enlisement dans d’autres harcèlements. Dans ce sens, il est fréquent qu’un enfant harcelé dans un établissement le soit dans un deuxième, puis dans un troisième. Cela encourage d’ailleurs la déscolarisation de ces enfants, qui souhaitent échapper à leur agresseur. A moyen terme, des phénomènes anxieux, voire dépressifs, peuvent émerger. Leur scolarité « à trous » altère également la qualité de leurs apprentissages au point de les faire redoubler. Puis, pris d’une envie de fuir le système scolaire, ces enfants risquent de s’engouffrer par défaut dans des filières professionnelles ou en alternance mal choisies. A long terme, ces jeunes devenus adultes cultivent toujours un certain malaise vis-à-vis du groupe. Mon expérience clinique me résigne d’ailleurs à faire un lien entre le harcèlement en milieu scolaire et le harcèlement en milieu professionnel.
Le corps enseignant semble peu à l’écoute. Est-ce une réalité ?
Les enseignants sont malheureusement peu réceptifs. La première raison est idéologique. Ils estiment que la vie de leurs élèves en dehors de la classe, relevant davantage de l’éducatif et non de leur champ de compétences, ne les concerne pas. Aussi, ils ne souhaitent pas démêler des histoires de « petits », à savoir « qui a commencé ? » et « qui a fait quoi ? » Enfin, les enseignants estiment que leur intervention n’est pas judicieuse et ne peut qu’aggraver la situation.
Comment traiter le harcèlement en milieu scolaire ?
L’alliance entre les parents et les enseignants est la clé. Il est nécessaire que parents et enseignants s’écoutent et se fassent confiance. Je ne le répèterai jamais assez ! De manière générale, toute affaire de harcèlement nécessite d’être traitée en deux temps : individuel puis collectif. Dans un premier temps, il s’agit d’organiser une rencontre médiatisée entre les parents de l’enfant harceleur, l’enfant harceleur, ceux de l’enfant harcelé, l’enfant harcelé et un médiateur, tel que le chef d’établissement. Il est très déconseillé aux parents de la victime de s’entretenir directement avec les parents de l’agresseur, sans quoi ces derniers risquent de les harceler en retour ! Dans un deuxième temps, il s’agit de mobiliser la communauté éducative et d’amorcer une réflexion collective quant à cette situation de harcèlement : « Qu’est-ce que l’on a fait ou pas fait ? », « Comment notre intervention pourrait-elle être plus mobilisatrice ? » Différents jeux de rôle entre enfants, visant à solliciter leur empathie et leurs habiletés sociales, pourraient également être organisés.
Est-il judicieux de porter plainte ?
Non. Tout comme Eric Debardieux (chercheur internationalement renommé pour ses travaux sur la violence scolaire, NDLR), j’estime que l’école ne doit pas être judiciarisée. Cela risque de dédouaner l’équipe éducative qui sera encore moins interventionniste. Or, il est nécessaire que les adultes et les enseignants s’en mêlent ! Les problématiques de harcèlement relèvent de la pédagogie, de la psychologie. Des domaines d’expertise sensibles et complexes, bien loin de la justice et de la notion de délits.
Pour aller plus loin…
Il serait inconcevable de ne pas complimenter « Le harcèlement à l’école, quelle réalité » par Héloïse Junier, qui ne réussit pas exclusivement à charmer son auditoire, mais parvient avec simplicité à le subjuguer. Félicitation !
Pas possible de faire plus simple, « Le harcèlement à l’école, quelle réalité ? » parvient à exposer clairement ce que certains ne parviennent même pas à formuler.