
Retrouvez cet article publié sur le site du Cercle Psy.
Écoutez ici l’extrait de l’émission MIDI 2: Vous avez dit Flops Technologiques? diffusée sur Radio Le Mouv’ (Radio France), dans laquelle je suis interviewée sur mon expérience de psychologue par téléphone.
Sur certaines lignes d’écoute téléphonique spécialisée, des psychologues accueillent chaque jour de nombreux appels d’adolescents en difficulté. Comment se déroulent ces entretiens téléphoniques? Quelles sont les problématiques les plus récurrentes? A quel point le téléphone contraint-il les psychologues à revisiter leur pratique ? Enquête.
Il y a une quinzaine d’années fut créée une ligne d’écoute destinée à des adolescents de 12 à 25 ans, et confiée à une association de loi 1901 reconnue d’utilité publique (1). Sa mission est double : écouter, informer et orienter les jeunes appelants, d’une part, et observer sur un plan national leurs difficultés en matière de santé, d’autre part. D’après la synthèse de l’activité de 2010, cette ligne d’écoute traite chaque jour plus de 600 appels, tandis que le site internet à laquelle elle est affiliée comptabilise quant à lui près de 2 000 visites quotidiennes.
Des psychologues aux horizons contrastés
La singularité de ce dispositif de téléphonie repose sans conteste sur l’équipe de professionnels qui l’anime. Et pour cause. Celle-ci ne regroupe pas moins d’une quarantaine de psychologues salariés, aux expériences et aux champs théoriques variés, sans oublier la présence de quelques médecins qui viennent compléter leurs champs de compétences. Certains psychologues sont d’aspiration psychanalytique, d’autres sont comportementalistes, tandis que d’autres encore privilégient une approche intégrative. Lors d’appels difficiles, l’équipe présente à ce moment vient soutenir et conseiller l’écoutant. La quasi totalité de ces praticiens exercent une activité en parallèle, que ce soit en institution ou en libéral. Un véritable métissage clinique et théorique.
Quels appelants pour quelles problématiques ?
Selon les psychologues les plus habitués de la structure, les problématiques n’ont pas évolué depuis une dizaine d’années. La plus récurrente ? La sexualité. Les interrogations des plus jeunes tournent autour du premier baiser, du premier rapport sexuel. Parfois, une grande crudité, témoin de pulsions florissantes, transpire à travers des propos qui peuvent être maladroits, grossiers, voire violents. Les interrogations des plus âgés portent sur le préservatif et les différents modes de contraception. Les jeunes filles s’inquiètent bien souvent d’une éventuelle grossesse non désirée. La seconde grande problématique est indéniablement le mal-être : fragilité de l’estime de soi, anxiété, dépression, addictions, automutilation, tentatives de suicide… Abattus et désorientés, certains jeunes contactent le dispositif sans formuler de questionnement précis. Ils déversent alors toute leur souffrance, de manière plus ou moins structurée, comme pour s’en décharger. Les appels peuvent durer de cinq à quarante minutes environ, en fonction de la problématique traitée.
Une revisite inéluctable de la position de psychologue
Une chose est certaine : quel que soit son ancrage théorique, sa formation ou son expérience, le psychologue est contraint de réajuster sa pratique. On ne parle d’ailleurs plus de patients ni de psys, mais d’appelants et d’écoutants. Ces derniers doivent développer une sensibilité auditive et clinique encore inédite. De plus, il n’y a pas de suivi thérapeutique. Toutefois, si la relation n’est que ponctuelle, le lien peut demeurer : il arrive aux psychologues du dispositif de se souvenir avec émotion de certains appelants, tout comme ceux-ci doivent sans doute garder un souvenir de cette rencontre. Le psychologue se doit également d’adopter une juste distance avec l’appelant. Par exemple, il ne peut pas se permettre d’approfondir l’analyse et l’introspection du jeune à outrance, sous peine d’ouvrir des « plaies » qu’il ne sera pas en mesure de refermer.
Quels sont les atouts d’un entretien téléphonique ?
Le principal avantage d’un tel dialogue est la baisse d’inhibition chez l’appelant. L’anonymat et la distance le dépersonnalisent, lui épargnant la gêne du traditionnel face à face. La distance conférée par le téléphone lui offre la possibilité d’être abrupt, spontané et sans retenue. L’adolescent devient par ailleurs maître de cette relation, dans le sens où il peut l’interrompre quand il le souhaite. Cette approche permet aux psychologues d’aller « plus loin, plus vite ». Certains estiment même que vingt minutes d’entretien téléphonique équivalent à plusieurs mois d’entretien exploratoire dans une approche clinique traditionnelle.
Quelles sont les limites d’une telle rencontre ?
Attention cependant : ce type de relation ne sollicite qu’un seul canal, la voix. L’impossibilité d’observer certains éléments tels que le regard, les gestes, les mouvements du corps… peut rendre plus difficile l’analyse du psychologue. D’autre part, l’absence de suivi peut paraître frustrante aussi bien pour les appelants que pour les écoutants.
Enfin, un psychologue au téléphone ne peut pas se permettre de rester silencieux à l’autre bout du fil, et de demeurer dans l’attente que son interlocuteur se confie. Il peut être invité à donner son propre avis, formuler des conseils et des suggestions, position qui reste peu fréquente dans une approche clinique traditionnelle. Enfin, l’émergence de questions pratiques touchant au corps ou à la contraception nécessite des réponses précises. Ce qui place dans une position ambiguë entre écoute et proaction.
La particularité d’internet est d’imposer un degré de distance encore supérieur à celui qu’implique le téléphone. Et ainsi de maximiser « l’intimité ». Par écrit, cachés derrière leurs écrans, les jeunes osent employer des mots qu’ils n’oseraient même pas prononcer par téléphone. Leurs propos peuvent alors être encore plus crus et plus directs.
Parallèlement au service de téléphonie, ce dispositif inclut un triple espace d’interaction : la boîte à questions, le forum et la communauté virtuelle. La « boîte à questions » demeure la manière la plus directe d’interagir avec les internautes : ils y posent des questions par mail auxquelles répondent les psychologues plus tard. Le forum regroupe quant à lui des échanges entre jeunes, que les psychologues modèrent. Certains messages trop extrémistes, à la limite de l’incitation, ou juste susceptibles d’heurter la sensibilité d’autres jeunes internautes, ne sont généralement pas validés. Enfin, le troisième (et le plus étonnant) espace investi par l’équipe de psychologues est un monde virtuel public dans lequel les jeunes peuvent retrouver, en image, un bus à l’effigie de cette ligne d’écoute. Deux fois par semaine, deux psychologues de l’équipe y animent des discussions sur des thématiques propres à l’adolescence (premier rapport sexuel, apparition des signes pubertaires, difficultés relationnelles avec les pairs, etc.). Une sorte de chat collectif à la réplique saisissante de réalité. Quelques minutes avant l’animation, les jeunes, qui ont préalablement choisi un avatar (image virtuelle), se placent dans une file d’attente devant le bus. Le véhicule lui-même contient dix fauteuils, ainsi qu’un frigo dans lequel les participants peuvent se servir en boissons. L’objectif de cette rencontre ? Sensibiliser les jeunes à certaines thématiques, et les encourager à discuter entre eux, par images interposées. Cet échange a la particularité d’être dynamique.
En ce début de 21ème siècle, les rapports humains ne cessent de se médiatiser, plaçant les interlocuteurs dans une certaine ambivalence, entre éloignement géographique et proximité affective, multiplication des relations sociales et solitude. Parallèlement aux dispositifs actuels de téléphonie sociale, se développent des services privés de psychologues au téléphone ou encore sur internet, par mail, chat ou chat vidéo. L’objectif affiché ? Atteindre des populations hésitantes au face à face thérapeutique, ou désireuses de conseils ponctuels. Bien que vivement décriée par le corps de la profession, cette pratique ne manque pourtant pas de séduire une partie du grand public… Téléphone, internet : outils des psys de demain ?
(1) Ses responsables n’ont pas souhaité que soit cité le nom de la ligne, ni celui de l’association dont elle dépend.
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