Retrouvez cet article publié sur le site internet et la revue mensuelle de Sciences Humaines.
Le domaine des troubles des apprentissages est actuellement en pleine effervescence et la galaxie « dys » est en mouvement. Où en est-on ? Où va-t-on ? À quels risques s’expose-t-on ?
De quoi parle-t-on quand l’on cite les « dys » ? Ces trois lettres bien connues des psychologues, médecins scolaires, orthophonistes, etc. désignent sous le même spectre un vaste ensemble de troubles cognitifs perturbant les apprentissages. La liste est longue : dyslexie (troubles de la lecture), dysphasie (difficultés à l’oral), dyscalculie (problèmes de calcul), dysgraphie (difficultés à écrire), dyspraxie (mauvaise coordination de l’activité gestuelle)…
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Pourquoi un tel succès ?
Le problème est que les classifications internationales (CIM-10, DSM-IV) n’affichent pas les mêmes critères diagnostiques – démarches d’identification variant d’un centre de soin à l’autre – ; les différents professionnels de la santé n’utilisent pas les mêmes terminologies – taux de prévalence incertains – ; l’efficacité des rééducations et des aides manque de preuves. La réussite de l’enfant à l’école est devenue un impératif social. L’échec scolaire fait couler beaucoup d’encre. Les enfants en difficulté – et leurs parents – se sentent vite dévalorisés, culpabilisés par un système éducatif uniforme et exigeant. Pris dans la tourmente des peurs scolaires et sociales, de nombreux enfants en difficulté sont ainsi étiquetés – à tort ou à raison – dys… quelque chose.
En France, la multiplication des sites Internet, des ouvrages vulgarisés et des associations consacrés aux dys témoigne de leur forte popularisation. Indéniablement, les dys ont du succès car, d’une certaine manière, ils rassurent : la médicalisation des difficultés scolaires dédouane les enseignants – mais les laisse démunis –, déculpabilise la famille – mais l’entraîne d’un cabinet de remédiation à l’autre – et rassure certains professionnels de santé – mais en laisse d’autres sceptiques…
Depuis la loi de 2005 sur le handicap, l’engouement pour les dys s’est largement développé. Désormais inscrits dans le spectre du handicap, les enfants désignés peuvent bénéficier, via les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), de compensations matérielles, scolaires et financières. Conséquence de ce système : nombreux sont les parents qui se présentent dans les centres référents pour qu’un diagnostic soit « authentifié » en bonne et due forme. Mais après évaluation, le constat est mitigé : si certains enfants présentent bien une entrave réelle, spécifique et durable, de nombreux autres rencontrent en fait des difficultés beaucoup plus générales, complexes et multifactorielles.
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Qu’en pensent les spécialistes ?
Plusieurs chercheurs, neuropédiatres ou psychologues tels que Claire Meljac et Léonard Vannetzel, dénoncent le brouhaha ambiant, les pratiques arbitraires et le flou général. Les plus critiques encouragent une refonte globale du système. En effet, les considérations actuelles ne prennent pas en compte la complexité des opérations mentales sollicitées dans les apprentissages, celle des effets boule de neige, l’importance de l’environnement dans la pédagogie, le rôle des émotions de l’enfant, de sa curiosité et de sa motivation…
À ces considérations vient s’ajouter un problème terminologique : affublé du préfixe « dys », l’enfant risque de se retrouver stigmatisé et enfermé dans une catégorie, lui interdisant ainsi toute possibilité d’évoluer…
C’est pourquoi de nombreux professionnels s’inquiètent de la tournure que prend ce domaine, avec notamment la récente apparition du concept hybride de « multidys ». Un consensus francophone sur la question pourrait être salutaire, à la condition d’être multidisciplinaire. Une chose est certaine : il apparaît plus que jamais nécessaire d’interroger la validité clinique des notions en jeu.
- Pour aller plus loin…
Sylvain Dionnet, « Évaluer n’est pas classer. Us et dérives de la pensée psy », actes du colloque « Psychopathologie et handicap chez l’enfant et l’adolescent » qui aura lieu à Lyon les 3,4,et 5 novembre prochains, Dunod, sous presse.
Dominique Guilbaud-Witaszek, « Les enfants avec un diagnostic de dyslexie sont-ils dyslexiques ? », actes du colloque « Psychopathologie et handicap chez l’enfant et l’adolescent », op. cit.
Léonard Vannetzel, Louis-Adrien Eynard et Claire Meljac, « Dyscalculie : une rencontre difficile », A.N.A.E., n° 102, juin 2009.
Robert Voyazopoulos, Léonard Vannetzel et Louis-Adrien Eynard (coord.), L’Examen psychologique de l’enfant et l’utilisation des mesures, Dunod, 2011.