S’attacher : un besoin vital ?

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Retrouvez cet article publié dans les Grands Dossiers de Sciences Humaines N°32 « L’amour, un besoin vital ».

Dès ses premières secondes de vie, le bébé est voué à créer des liens avec les personnes qui l’entourent. Au-delà d’une réelle valeur affective, cet attachement répond avant tout à un besoin vital, assurant sa sécurité et sa survie dans notre monde.

Mathéo, six mois, est allongé sur le tapis d’éveil coloré du salon. Sa maman feuillette un magazine à ses côtés, lui adressant de temps en temps quelques mots doux ainsi que des petites caresses sur les pieds. Mathéo, serein, manipule son éléphant rose tout en jetant régulièrement quelques regards en direction de sa mère. Mais soudain, celle-ci se lève et quitte précipitamment la pièce car on a frappé à la porte. Mathéo se met alors à pleurer, puis à crier. En l’espace de quelques secondes, le petit garçon est passé d’un état de sérénité à une position d’alerte. Le départ instantané de sa mère a plongé l’enfant dans une situation d’insécurité, de détresse, entraînant l’activation de ses signaux d’alerte. Cette scène, que tous les parents ont vécue, est la manifestation visible du lien d’attachement qui relie un tout-petit à son entourage.

Depuis John Bowlby, psychiatre et psychanalyste anglais qui élabora la théorie de l’attachement, les théoriciens de l’attachement avancent que, par sa dépendance, tant psychologique que physiologique, un jeune enfant demeure tributaire des adultes pour survivre dans notre monde. C’est naturellement que ce petit être social est destiné à s’y attacher, quelles que soient leurs réponses à ses sollicitations. Pour y parvenir, la nature a doté le bébé d’une palette de comportements lui permettant d’attirer l’attention de l’adulte et de s’assurer de sa proximité, et ce dès sa naissance. Non pourvu de langage verbal, c’est par le biais des pleurs et des cris que le très jeune enfant exprime son malaise, son inconfort, voire sa détresse. Ces comportements aversifs encouragent l’adulte à se rapprocher rapidement de l’enfant pour les interrompre. De même, l’apparition de sourires et de vocalises permet au petit humain de créer et de prolonger des échanges avec ses aînés. C’est par l’ensemble de ces comportements que s’établit une proximité vitale entre l’enfant et ses protecteurs : « il peut crapahuter et suivre sa mère en permanence comme un petit poussin suit sa mère poule : c’est la fameuse période entre dix mois et deux ans du « bébé koala » ou « bébé timbre-poste » explique Nicole Guédeneyi.

Certains malaises occasionnent des réactions en chaîne dans la tête d’un tout-petit. Par exemple, une situation d’alerte, tels que la faim, la fatigue, le froid ou encore la séparation soudaine d’avec la mère ou le pèreentraînent l’émergence d’émotions négatives. Ces frustrations vont, à leur tour, activer son système d’attachement, réaction consistant à se rapprocher de son parent s’il est en âge de se déplacer, ou bien de pleurer, de crier, s’il ne l’est pas. Dès 9 mois, d’autres situations anxiogènes, émergent au fil de son développement psychologique : l’éloignement des parents ou de la nourrice le soir, la présence d’un inconnu, l’obscurité de la chambre à coucher ou encore l’irruption d’un chien envahissant dans le salon.

Pour illustrer au mieux l’activation du système d’attachement d’un bébé, John Bowlby le comparait au fonctionnement d’une chaudière. Si la température de celle-ci descend en dessous d’un certain niveau, la chaudière s’enclenche. Au contraire, si la celle-ci remonte au-dessus du seuil, la chaudière s’interrompt. Dans le cas du bébé, c’est la proximité avec la figure d’attachement qui va « éteindre » le système, tels ce père qui prend son enfant dans les bras pour le tranquilliser, cette maman qui adresse des mots rassurants à son bébé, ou encore cette professionnelle de crèche qui s’applique à croiser le regard de l’enfant inquiet. L’objectif étant atteint, le système d’attachement se « désactive ». Le bébé redevient calme et détendu, la proximité du caregiver étant associée à un sentiment de sécurité.

Maman, papa, nounou…

On l’aura compris, la figure du caregiver (celui qui prend soin) est essentielle dans la constitution du lien d’attachement. Pour les psychologues, ce terme anglo-saxon désigne l’ensemble des protagonistes qui élèvent l’enfant, qu’ils soient ses parents biologiques, adoptifs, sa nourrice, sa référente de crèche, ses grands-parents. Dans certains contextes défavorables, où l’enfant souffre de sévères négligences de la part des adultes qui l’entourent, ce dernier peut s’attacher à un frère ou à une sœur aîné(e) ou même, à son animal de compagnie, son chat, son chien, son hamster. En revanche, un enfant ne peut s’attacher à un objet inanimé, car il est non vivant par définition, et donc non susceptible de répondre à ses besoins.

Les neuf premiers mois de la vie lui sont nécessaires pour se constituer ses figures d’attachements primaires. Plusieurs étapes ponctuent la construction de ce lien (voir encadré). Dès lors, selon Nicole Guedeney, chacune d’elle devient unique, non substituable, irremplaçable. Celles-ci peuvent être principales, telle que la mère, ou subsidiaires, telle que la nounou ; la principale étant la personne qui s’est le plus occupée du bébé pendant les premiers mois. Ce sera donc vers ces personnes clés que l’enfant se tournera spontanément en situation de détresse. Contrairement aux apparences, le qualificatif de « principale » ou de « subsidiaire » ne signifie pas que l’enfant porte davantage d’affection à l’une ou l’autre de ses caregivers, mais que la proximité de l’une lui apportera un plus grand sentiment de sécurité que l’autre. En clair, le câlin de sa maman le réconfortera davantage que celui de son assistante maternelle, aussi douce soit-elle ! Quelle qu’elle soit, la figure d’attachement représente une base de sécurité, un havre de paix, indispensable pour que le petit aventurier en herbe s’autorise à explorer son environnement, en toute sérénité. Nicole Guedeney compare cette « base de sécurité » à un porte-avions : « le bébé ou le jeune enfant est l’avion ; la base sécure c’est le pont du bateau d’où s’élancent les avions pour les missions de reconnaissance. Le même pont doit être toujours libre pour les avions en mission afin que ceux-ci puissent atterrir dès qu’ils le demandent (que cela soit en urgence ou pas) : le même pont s’appelle alors le havre de sécurité ».

Pas tous égaux face à l’attachement

Tous les enfants ne tissent pas des liens de même intensité, de même nature avec leurs adultes ressources. La qualité de ce lien résulte directement de l’attitude des adultes à leur égard : si certains caregivers ont pour habitude de répondre à leurs sollicitations de manière appropriée, rapide et cohérente, d’autres réagissent peu à leurs pleurs et encouragent excessivement leur indépendance, tandis que d’autres encore y répondent de manière incohérente, ambivalente, parfois négligente, voire maltraitante.

Mary Ainsworth, psychologue développementaliste américaine, identifia trois schèmes d’attachements chez les tout-petits, par le biais d’une situation expérimentale appelée la « situation étrange »*. Dans l’attachement dit « sécure », forme d’attachement optimale, l’enfant sollicite sa figure protectrice comme base de sécurité pour explorer son environnement (un clin d’œil au porte-avion précédemment mentionné). L’enfant « évitant », à l’attitude fuyante et autonome en apparence, cherche peu le contact de son caregiver et se comporte avec les étrangers un peu comme avec ses figures d’attachement. Enfin, l’enfant dit « ambivalent/ résistant » manifestent un grand besoin de se coller à leur caregiver, ce qui le freine dans l’exploration de son environnement. Il semble largement affecté par la séparation d’avec sa personne ressource et manifeste des réactions ambivalentes au moment des retrouvailles : il s’agrippe à elle, avec colère. Marie Main, psychologue américaine, distingua un quatrième style d’attachement, le « désorganisé ». Il s’agit d’enfants présentant des comportements contradictoires et incohérents à l’égard de leur figure d’attachement, tantôt dans la fuite, tantôt dans le rapprochement, tel qu’avancer vers son parent le dos en avant par exemple

Il faut ajouter que les principes éducatifs modernes prônent souvent une autonomie de plus en plus précoce du jeune enfant. Que ce soit au domicile des familles ou dans l’univers professionnel, dans les maternités, les crèches, les pleurs du bébé sont parfois qualifiés de caprice (« il fait son de cinéma !). Certains parents ou professionnels hésitent même à prendre un enfant qui pleure dans leurs bras, de peur qu’il s’y habitue, voire qu’il en devienne dépendant. La théorie de l’attachement combat ces attitudes, qualifiées d’idées reçues et erronées. Chaque pleur serait l’expression non verbale d’un malaise. Non, un jeune enfant n’est pas manipulateur, comédien, coquin, chipie. Et les auteurs sont unanimes : il est nécessaire de répondre aux signaux d’alerte des bébés, dans les premiers mois de vie. Ils seront d’autant plus autonomes et sereins lorsqu’ils souffleront leur première bougie.

La variabilité du lien d’attachement est aisément observable en crèche, espace dans lequel plusieurs jeunes enfants sont réunis et donc analysables simultanément. 14 heures, section des bébés : Chloé cherche toujours à se mettre sur les genoux de la professionnelle et se met à pleurer dès que celle-ci se lève pour subvenir aux besoins d’un autre enfant. Stéphane explore, quant à lui, la pièce à quatre pattes, de long en large et en travers, sans prêter une quelconque attention à la présence de l’adulte. Margaux, elle, jette régulièrement des regards à la professionnelle présente, tout en vaquant sereinement à ses occupations. L’intensité du besoin de proximité physique et la capacité à explorer de manière autonome l’espace, laissent, dans ce contexte, deviner de la qualité d’attachement du jeune enfant.

Que deviendront ces enfants à l’attachement plus ou moins « sécure », devenus adultes ? Observera-t-on une cohérence, une continuité entre la qualité des liens qui les unissaient hier à leurs parents, avec celle qui les unira à leurs amis proches, à leurs amoureux, demain, une fois propulsé dans le monde des adultes ? Il semblerait que oui. Mais là, c’est une autre histoire… d’amour.

Mot-clé : Strange Situation 

Situation expérimentale destinée à évaluer la qualité d’attachement des enfants de 12 mois, parmi les quatre patterns d’attachement identifiés (sécure, évitant, ambivalent/ résistant, désorganisé). Dans cette situation interviennent l’enfant, sa mère et une personne inconnue. La scène est composée de huit épisodes de trois minutes chacun, confrontant l’enfant à des séparations d’avec sa mère, à savoir sa figure d’attachement, et quelques contacts avec une personne inconnue. Dans le cadre de cette expérience, sont observés et analysés le comportement de l’enfant, et notamment ses signes d’inquiétude, d’alarme, de tristesse ou encore ses manifestations de plaisir, de recherche de réconfort, etc.

La constitution du lien d’attachement, étape par étape

De la naissance à trois mois : le bébé cherche la proximité d’êtres humains, sans une réelle orientation vers telle ou telle personne. Certaines études récentes ont montré que le bébé manifestait tout de même des préférences discrètes pour des personnes qui lui seraient familières, avec qui il aurait été en contact durant la grossesse.

De trois à six mois : l’enfant cherche peu à peu à se rapprocher de sa figure d’attachement potentielle. Il adresse par exemple davantage de sourires et de vocalises à son parent qu’aux personnes étrangères qui croisent sa route.

De six/ neuf mois à trois ans : de par le développement de ses capacités motrices et psychologiques, il devient capable de se distancier physiquement de sa figure d’attachement. Cette phase est alors marquée par l’établissement du phénomène de « base de sécurité », que l’enfant sollicite au cours de ses multiples explorations. Après deux ans, il est de plus en plus sensible aux objectifs de l’adulte, quitte à laisser de côté son comportement d’attachement. Attitude que les théoriciens de l’attachement qualifient de « partenariat émergent ».

A partir de trois/ quatre ans : grâce au développement de son langage et de ses facultés cognitives, l’enfant est enfin en capacité de discuter et de se représenter symboliquement les personnes physiquement absentes. Il peut aussi désormais comprendre les intentions et les besoins de son entourage. A partir de quatre ans, il devient capable d’abandonner son parent, et de réajuster ses attentes, afin que cela convienne aux deux partis, dans la mesure du possible. Attitude que Bowlby qualifie de « partenariat corrigé quant au but ».

Référence : « Comment se constitue le lien d’attachement ? » chapitre de l’ouvrage « L’attachement, un lien vital » de Nicole Guedeney (Fabert, 2013).

i Nicole Guédeney est pédopsychiatre, docteur ès Sciences à l’Institut Mutualiste Montsouris de Paris, et auteur de « L’attachement, un lien vital » (Fabert, 2013) et de « L’attachement : approche théorique. Du bébé à la personne âgée » (Masson, 2009).

Publié par Héloïse Junier

Qui suis-je ? Une psychologue intrépide et multicasquette : intervenante en crèche, journaliste scientifique, formatrice, conférencière, doctorante, auteur et blogueuse. Ah oui, et maman aussi (ça compte double, non ?). Mes passions ? L'être humain (le petit mais aussi le grand), les rencontres, le fonctionnement de notre cerveau, l'avancée de la recherche mais aussi l'écriture, le partage et la transmission. Parallèlement à ma pratique de psychologue en crèches et à mon aventure de doctorante à l’université, j’anime des formations et des conférences pédagogiques à destination des professionnels de la petite enfance. Mon objectif ? Revisiter les pratiques à la lumière des neurosciences, tordre le cou aux idées reçues transmises de générations en générations, faire le pont entre la recherche scientifique et le terrain.

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